1724-11-01, de Pierre Robert Le Cornier de Cideville à Voltaire [François Marie Arouet].

Vostr e poëme, Monsieur, que j'avois à la campagne, m'a tourné la teste comme l a lecture des hauts faits d'armes tourna celle de Domquichotte; il se crût né pour les choses merveilleuses parcequ'il en avoit lû, et je me suis crû capable de faire de bons vers parceque j'en avois lû d'admirables.
En un mot, séduit par Le naif et le naturel de la bonne poésie, je l'ay pris pour facilité d'y réussir, je me suis enfermé et j'ay fait une épistre. Je vous l'envoye, dieu veuille qu'elle vous amuse. Je ne vous réponds que de la vérité des sentiments d'estime que vous y trouverés car je n'ay pas la satisfaction de croire qu'il soient suffisamment exprimés. Quand mesme je n'aurois rien fait qui vaille j'auray le plaisir de m'estre amusé en songeant à vous et je profiteray de mon travail quelqu'il soit en lisant à l'avenir vos ouvrages et les bons vers qui paroitront avec plus de respect et plus de plaisir. Il seroit à souhaiter pour les grands hommes que le peuple eût au moins quelque teinture des choses où ils ont réussi. Ils seroient admirés plus en connoissance de cause.

Mandés moy que vous continués de m'aimer et que vous vous portés mieux. Je seray trop récompensé.