1715-06-25, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Madeleine de Carvoisin d'Achy, marquise de Mimeure.

J'ai vu, madame, votre petite chienne, votre petit chat & mademoiselle Aubert. Tout cela se porte bien, à la réserve de mademoiselle Aubert qui a été malade, & qui, si elle n'y prend garde, n'aura point de gorge pour Fontainebleau. A mon gré, c'est la seule chose qui lui manquera, & je voudrais de tout mon cœur que sa gorge fût aussi belle & aussi pleine que sa voix. Puisque j'ai commencé par vous parler de comédiennes, je vous dirai que la Duclos ne joue presque point, & qu'elle prend tous les matins quelques prises de senné & de casse, & le soir plusieurs prises du comte d'Uzès (c'était bien la peine de faire des vers pour elle!) N . . . adore toujours la dégoûtante Lavoie, & le maigre N . . . a besoin de recourir aux femmes, car les hommes l'ont abandonné. Au reste, on ne nous donne plus que de très mauvaises pièces, jouées par de très mauvais acteurs. En récompense, mademoiselle de Montbrun récite très joliment des pièces comiques; je l'ai entendue déclamer des rôles du Misanthrope avec beaucoup d'art & beaucoup de naturel. Je ne vous dis rien de l'Important, car je vous écris avant la représentation, & je veux me réserver une occasion de vous écrire une seconde fois. On joue à l'Opera Zéphire & Flore; on imprime l'Anti-Homère de Terrasson, & les vers héroïques, moraux, chrétiens & galants de l'abbé Dujarri. Jugez, madame, si l'on peut en conscience m'interdire la satire! Permettez moi donc d'être un peu malin. J'ai pourtant une plus grande grâce à vous demander, c'est la permission d'aller rendre mes devoirs à m. de Mimeures, & à vous, dans l'un de vos châteaux, où peut-être vous ennuyez vous quelquefois. Je sais bien que je perdrais auprès de vous tout le fiel dont je me nourris à Paris; mais afin de ne me pas gâter tout-à-fait, je ne resterais que huit ou dix jours avec vous. Je vous apporterais ce que j'ai fait d'Œdipe;je vous demanderais vos conseils sur ce qui est déjà fait & sur ce qui n'est pas travaillé, & j'aurais, à m. de Mimeures & à vous, l'obligation de faire une bonne pièce. Je n'ose pas vous parler des occupations auxquelles vous avez dit que vous vous destiniez pendant votre solitude. Je me flatte pourtant que vous voudrez bien m'en faire la confidence tout entière:

Car nous savons que Vénus & Minerve,
De leurs trésors vous comblent sans réserve;
Les grâces même & la troupe des ris,
Quoiqu'ils soient tous citoyens de Paris,
Et qu'en ces lieux ils se plaisent à vivre,
Jusqu'en province ont bien voulu vous suivre.

Ayez donc la bonté de m'envoyer, madame, signée de votre main, la permission de venir vous voir. Je n'écris point à m. de Mimeures, parce que je compte que c'est lui écrire en vous écrivant: permettez moi seulement, madame, de l'assurer de mon respect & de l'envie extrême que j'ai de le voir.