Mâçon, 19 février 1809.
Me voici arrivé à bon port, mon cher ami, et, sitôt que j'ai eu une plume taillée et de l'encre dans mon écritoire, je me suis mis à t'écrire. Je suis sûr que tu n'aurais pas été aussi fidèle à ta promesse que moi.
Je suis parti le même jour que toi. Je passai encore la veille ma soirée aux Célestins où je m'ennuyai passablement. J'espérais à tout moment t'y voir arriver, mais je n'y trouvai que Douglas, et j'en sortis de bonne heure. Mon voyage a été fort heureux, et on a une certaine considération pour un jeune homme qui a été passer son hiver dans une grande ville; on le croit blasé sur tout, et puis cela donne une contenance, une consistance, une noble hardiesse, qu'en dis-tu?
Je vais à présent passer mon carême au travail et dans une grande tranquillité, et faire tous mes efforts pour faire mon cours de droit l'année prochaine; je ne sais si je l'obtiendrai, mais je ne veux pas absolument rester oisif.
Je suis à réfléchir ce qu'il faut que j'entreprenne à présent. Poésies, traductions, prose, histoire, tout cela me demande la préférence. Je ne sais à qui répondre. Conseille-moi, sans quoi je dirais comme mademoiselle Houdart :
Pour moi je fais un peu de tout.
A propos de mademoiselle Houdart, elle nous débita le jour que tu n'y étais pas un couplet de façon lyonnaise. Il est si beau, si joli que je l'ai quasi retenu. C'etait pour annoncer une représentation le lendemain à son bénéfice :
Messieurs,
Eh bien, est-ce pas bien tourné? Douglas a crié bis, elle est revenue le répéter. Voilà pourquoi je le sais si bien.
Tu me pardonneras bien si cette lettre est un peu courte; j'en ai aujourd'hui une douzaine à faire : à Guichard, à un oncle, à une simple connaissance, et j'ai, outre cela, des visites à rendre. Pour loi, qui n'as rien de tout cela, je ne t'excuserai pas si tu n'écris pas un peu plus fin.
Adieu, mes respects à ta mère. Réponds-moi tout de suite, que ça ne languisse pas !
Le meilleur de tes amis,
ALPH. DE LAMARTINE.