Monsieur!
J'ai l'honneur de vous envoier cy joint un manuscrit que j'ai copié, sur un que je tiens de feu mon Pêre depuis nombre d'années, ne croiant pas que vous aïez jamais vu cet ouvrage, ne sachant pas du moins qu'il en eût tiré de copie.
Je ne doute pas qu'entre vos mains il ne pût devenir très utile à la religion. Il est vrai que peut être j'en aurois pû tirer un certain parti, ce dont je n'aurais pas êté fâché, bien loin de là, mais d'un autre côté, je doute très fort qu'il eût jamais servi à éclairer le Genre Humain. D'ailleurs un petit particulier couroit peut être de certains dangers de vouloir mettre au jour, de quelle manière que ce fût quelque chose de raisonable sur cette matière, vû la force des préjugés régnants. Cependant je régarderai toujours comme un grand bien, de dépouiller la réligion des absurdités, inventées par la Théologie, surtout en y travaillant d'une manière aussi judicieuse, et modérée qu'il me paroit que l'auteur l'a fait. Ramener les hommes à un culte raisonnable, et épuré c'est suivant moi donner de la consistance à leur Foi. L'Indien qui adore le Soleil, répond, au missionaire qui lui prêche un Dieu mort sur la croix, qu'il préfère son Dieu, qui ne meurt point, & cette réponse, est très raisonnable. Le dogme de la transubstantiation tomberait de lui même, lorsque les chrétiens, ne croiraient plus à un Dieu en trois personnes, &c. Mais si les protestants veulent sur certains dogmes, prendre des passages à la lettre, sans les expliquer par d'autres qui les éclaircissent, comment peuvent ils blâmer les catholiques d'en faire autant pour établir la transubstantiation? Est-il plus absurde de supposer qu'un corps puisse se diviser, & se trouver en différents lieux, que de supposer que trois Etres distincts n'en fassent qu'un & si nous devons aveuglément soumettre notre foi sur un point, ou un dogme, quoique contraire à notre raison, pourquoi ne serions nous pas tenus d'en faire autant à l'égard d'un autre? Si nous sommes obligés d'avoir recours à la Théologie, ou aux décisions éclésiastiques pour éclairer notre foi sur un dogme, & que nous ne puissions le comprendre par nous même, pourquoi aurions nous plus de lumières sur d'autres? L'Eglise catholique ne se trouvera-t-elle pas alors fondée, à deffendre la Lecture de nos Livres Saints au peuple, puisqu'elle peut l'induire en erreurs, & qu'il ne peut juger par lui même?
Nos théologiens, surtout leur Système, prétendent que Notre Seigneur est la seconde personne de la Trinité, Cela ne peut être si le St Esprit, est Dieu dans le sens qu'ils l'entendent. Jesus Christ dit lui même Math. 12, V. 31–32 ‘C'est pourquoi Je vous dis, que tout péché, et blasphème sera pardonné aux hommes, mais le Blasphème contre l'Esprit ne leur sera point pardonné. Et si quelqu'un a parlé contre le Fils de l'Homme il lui sera pardonné, mais si quelqu'un a parlé contre le Saint Esprit, Il ne lui sera pardoné, ni dans ce Siêcle, ni dans Celui qui est à venir’.
Il m'a paru que ce passage faisoit voir même plus clairement que ceux de mon Auteur, que dans plusieurs occasions le Saint Esprit désignait si manifestement Dieu lui même, qu'on ne pouvait pas s'y méprendre, cela est si vrai que dans Celle-cy, ces paroles n'ont pas besoin d'explication pour en comprendre le vrai sens. Jesus Christ reconnoit entr'autres son infériorité par rapport à Dieu, d'une manière si frapante et si bien désignées que si on vouloit l'entendre autrement, Il faudroit supposer nécéssairement que le Saint Esprit, quoique troisième persone de la Trinité, Suivant le Sistème des Théologiens, seroit infiniment Supérieur à Dieu, puisque le Blasphème contre le Saint Esprit sera le Seul dont les homes ne pouront obtenir le pardon, ni dans cette vie, ni dans l'autre; Peut être comme Je n'ai point pu collationer ma copie, n'osant le faire voir à Personne de peur de me faire regarder comme un homme à Brûler, s'y sera t'il glissé quelques fautes. Je souhaite d'ailleurs que sa lecture vous fasse plaisir, vous priant de l'agréer si vous en faites quelque cas, comme un Témoignage, du respect, & de la vénération la plus profonde, avec les quels j'ai l'honneur d'être
Monsieur,
Votre très humble & très obéïssant serviteur
Du Buit Justic[ier]
Vevey le 22e Mars 1777