4 de janvier [1777]
Mon très cher philosophe, il y a dans ma petite colonie un homme qui a passé vingt ans en Espagne, et qui m'assure que la cavalcade de la sainte inquisition est une cérémonie qui se pratique tous les ans, pour vendre au peuple la bulle de la cruzade, moyennant laquelle on obtient le droit de manager gras les vendredis et samedis de l'année, et trois jours de la semaine en carême.
Cela est consolant; mais si m. Benavidès ou Olavidès, qui est un philosophe très instruit et très aimable, est dans les prisons de l'inquisition, avec l'agrément de sa majesté catholique, il sera difficile de me consoler. Il a passé, il y a longtemps, huit jours aux Délices; cela m'attendrit pour lui: mais ne nous pressons pas de gémir, il n'y a peut-être pas un mot de vrai à tout ce qu'on nous dit.
Ce qui est très vrai, c'est que le Pascal, ou plutôt l'Anti-Pascal, d'un homme très supérieur à Pascal, a le succès qu'il mérite auprès des gens de bien qui ont eu le bonheur de le lire; cela ne doit pas vous décourager. Le petit nombre des élus subsistera toujours. Il est probable qu'il ne sera jamais puissant, mais il sera indestructible. Je voudrais bien savoir quel est le protecteur du bon goût et de la probité, qui a forcé mm. Palissot et Clément à augmenter le nombre des journaux. Nous avons, dieu merci, plus de journaux que de livres, c'est avoir plus de juges que de plaideurs.
Je suis bien malade, mon cher ami, quoique nous ayons dans notre retraite m. de Villevieille qui nous parle de vous et de M. de Condorcet. Je n'en peux plus au moment que je vous écris, et je finis parce que la tête me tourne; mais je vous embrasse aussi tendrement que si je me portais bien.