19e avril 1776
Mon cher ami, je suis si peu de ce monde que j'ignorais la nomination de Colardeau et sa mort, aussi bien que ses ouvrages.
Tout ce que je sçais c'est que je souhaittais depuis longtems de vous avoir pour confrère, vous et Mr De Condorcet; car il faut absolument réhabiliter l'académie.
Je n'avais jamais entendu parler de Rigoley Juvigny. Je vous serai très obligé de m'aprendre s'il est parent de Mr Rigoley d'Ogny, Intendant des postes. C'est sans doute un grand génie et digne du siècle.
A L'égard de Gilles Piron, qui, à mon avis, n'a jamais travaillé que pour la foire, je ne crois pas l'avoir vu trois fois en ma vie. Je ne connais point du tout ses œuvres posthumes ou mortes, mais je puis jurer, et même parier que je n'ai jamais parlé au Roi de Prusse, ni de Piron, ni de Fréron, ni d'aucun de ces messieurs là.
Je vous suis très obligé, mon cher ami, de l'avis que vous me donnez concernant la petite calomnie absurde dont je suis affublé dans cette édition de Gilles Piron. Voicy ma réponse que je vous prie de vouloir bien faire insérer dans le prochain mercure.
Je vais hazarder de vous envoier les Lettres chinoises sous l'envelope de Mr De Vaines. Vous permettrez que d'abord je lui envoie un éxemplaire pour lui, puisqu'il est juste de lui paier sa commission, et il y en aura un pour vous la poste d'après. Mais je doute beaucoup que ces paquets arrivent à bon port. J'en avais adressé un à Mr D'Argental qu'il n'a point reçu. Les obstacles et les gênes se multiplient de tous les côtés. Je vois bien qu'il faut que je renonce à la Littérature, et que je me borne à bâtir des maisons, et attendant que j'assemble les quatre ais de ma bierre. Je suis dans ma quatrevingt troisième année, quoiqu'on dise. Il y a environ quatrevingt que je suis malade, et j'ai été persécuté environ soixante. Voilà à peu près le sort des gens de Lettres.
Portez vous bien mon cher ami, écrasez l'envie, combattez, triomphez, et aimez moi.