1776-04-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.
Vous vous moquez toujours du poète ignorant
Qui de tant de héros a choisi Childebrand.

Mais ce Childebrand a été vingt ans Adonis; il a été Mars. Je lui ai eu dans deux occasions de ma vie les plus grandes obligations. Je dois donc me taire. Je souffre un peu de la disgrâce qu'il éprouve; car il me doit de l'argent; seconde raison pour me taire. Je lui avais conseillé de ménager des gens de lettres qui sont écoutés dans Paris; ce conseil lui a déplu; troisième raison pour me taire.

Vous savez, mon très cher philosophe, que Chabanon a la plus grande envie d'être des nôtres. Mais comme les octogénaires de notre tripot ne sont pas encore morts, ni moi non plus, j'attends pour vous en parler que ma place soit vacante.

Je devrais me taire encore sur un homme qui m'a fait du mal, et qui vous a fait un très petit bien, mais il faut que je vous en parle. J'apprends qu'il y a quelques copies dans Paris d'une lettre que je lui ai écrite. Ces copies sont toutes défigurées, et c'est ce qui arrive fort souvent. Je me crois obligé en conscience de vous envoyer une copie très fidéle, où il n'y a pas un mot de changé, afin que dans l'occasion mon cher Bertrand puisse rendre à Raton la justice qui lui est due.

Je vous prie quand vous serez de loisir, de me mander si vous croyez que les bracmanes aient autrefois reçu une astronomie complète d'un peuple qui n'existe plus. Mr Bailly votre confrère me paraît fort attaché à cette opinion. Il a beaucoup d'esprit et de sagacité; son livre est un roman céleste. Pour l'anneau de Saturne, cela passe mes forces.

Ce qui ne passe pas ma portée, c'est de sentir une partie de votre mérite, de le révérer de loin, ce qui me fâche beaucoup, et de vous aimer de tout mon cœur, ce qui fait ma consolation.

Vous ne m'avez point mandé si ce sculpteur, nomme Poncet ou Poncetti, avait obtenu de vous la permission de faire votre buste. Son ambition était de sculpter mr Turgot et vous.