1776-01-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Dominique Vivant Denon.

Je suis bien loin, monsieur, de croire que vous ayez voulu faire une caricature dans le goût des plaisanteries de m. Huber.

J'ai chez moi actuellement le meilleur sculpteur de Rome, à qui ma famille a montrè votre estampe: il a pensé comme pensent tous ceux qui l'ont vue. On l'a prié d'écrire ce qu'il fallait faire pour la corriger: je vous envoie sa décision.

Il court dans Paris une autre estampe, qu'on appelle mon Déjeuner; on dit que c'est encore une plaisanterie de m. Huber. J'avoue que tout cela est assez désagréable. Un homme qui se tiendrait dans l'attitude qu'on me donne, et qui rirait comme on me fait rire, serait trop ridicule.

Vous m'auriez fait plaisir si vous aviez pu corriger l'ouvrage qui a révolté ici tout le monde; et s'il en était encore temps, ma famille vous aurait beaucoup d'obligation. Je n'en suis pas moins sensible à votre bonté, et je n'en estime pas moins vos talents. Je vous supplie de ne rien imputer à une fausse délicatesse de ma part. Je sais bien que vous m'avez fait beaucoup d'honneur; mais je vous prie de pardonner à mes parents et à mes amis, qui ont cru qu'on avait voulu me tourner en ridicule.

Je suis honteux de vous fatiguer de nos représentations. Soyez très persuadé du respect et de l'attachement qu'aura toujours pour vous votre vieux confrère.

Voltaire