à Ferney 8e xbre 1775
Monsieura,
Nos petits états s'assembleront Lundy 11e du mois.
Je m'y trouverai, moi qui n'y vais jamais. J'y verrai quelques curés qui représentent le premier ordre de la France, et qui regardent comme un péché mortel l'assujettissement de paier Trente mille francs à la ferme générale. Ils auront beau dire que les publicains sont maudits dans l'Evangile, je leur dirai qu'il faut vous bénir, et que vous êtes le maître à qui les publicains et eux doivent obéissance.
Je leur remontrerai qu'il faut accepter vôtre édit purement et simplement, comme on acceptait la bulle.
Mais, Monsieur, il faut que je vous envoie une Lettre que je viens de recevoir de Mr Fabry, l'un de nos sindics. Il écrit comme un chat; mais peut être a t-il raison de se plaindre des fermiers généraux, qui en 1760, portèrent par une éxagération éxcessive, le produit des traittes et gabelles dans le païs de Gex, à vint trois mille six cents Livres; et qui par une autre éxagération le portent cette année cy à soixante mille livres. Positis ponendis, et aufertis auferendis.
Je ne saurais guères accorder ces assertions avec la dernière idée de nos états, qui m'assuraient, comme j'ai eu l'honneur de vous le mander, que le profit net des fermiers généraux n'allait avec nous, qu'à sept ou huit mille Livres. S'il faut que vous soiez obligé continuellement, vous, Monsieur, et Monsieur Le Controlleur général, de réformer tous les mémoires dont la Cupidité humaine vous pestifère, je vous plains de passer si tristement vôtre tems.
Mais nôtre chétive province est peut être aussi un peu à plaindre d'être obligée de donner Cinq cent francs par an à chacune des soixante Colonnes de l'état, qui sont des Colonnes d'or. Nous ne sommes que d'argile, et nôtre argile encor ne vaut rien. Quand on y a semé du grain, il ne meurt pas à la vérité pour renaître, comme l'Evangile le disait, mais il ne rend jamais que trois pour un aux pauvres cultivateurs, qui euntes ibant et flebant mittentes semina sua.
Enfin, Monsieur, cette opération est la vôtre, c'est celle de Monsieur Turgot. Ou je mourrai à la peine, ou Lundy prochain la plus petite de toutes les cohues signera son remerciement. Mais nous empêcherez vous de vous demander l'aumône? On l'a doit aux pauvres, c'est par là qu'on rachête ses péchés. Certainement les fermiers généraux en ont fait; et quand ils nous donneront cinq ou six mille francs par an sur les Trente mille livres pour entrer dans le roiaume des cieux, ils feront un très bon marché. Je propose cette bonne œuvre à Monsieur Le controlleur général. Qu'il mette dans l'édit vingt cinq mille francs aulieu de Trente, cela est très aisé; et messieurs des fermes ne pousseront pas plus de cris de douleur que nous autres gueux nous en pousserons de joie.
Pardonnez à cette exhortation chrétienne. Elle n'a rien de commun avec l'acceptation solemnelle que nous devons faire dans la grande ville de Gex, etca.