15e auguste 1775, à Ferney
Vous avez eu la bonté, mon cher ami, de m'envoier la prose et les chifres de Mr D'Ailly.
Son ouvrage n'est pas consolant. J'aurais encor mieux aimé de mauvais vers, mais je ne crois pas qu'il en fasse. Ma misérable santé m'a empêché de vous remercier sur le champ de la bonté que vous avez eue de me dépêcher ce triste manuscrit à la faveur d'un contreseing de ministre.
Made Denis a repris toute sa vigueur, elle fait actuellement ses quatre repas par jour, et vous tiendra tête. Pour moi, je suis dans une décrépitude de corps et d'esprit, qui est d'ordinaire l'apanage de mon âge. Je sais qu'il y a eu des gens qui ont bien pensé et bien digéré à l'âge de quatrevingt deux ans; mais je ne suis pas de ce petit nombre des élus. Je m'amuse à faire une petite ville assez jolie, d'un très vilain trou; celà ne demande pas un grand éffort de génie. J'espère que vous viendrez rire de mes entreprises au mois de septembre, et que Madame D'Hornoy ne sera point incommodée de ce voiage. Tout cacochime que je suis je me flatte encor d'être en état de souper quelquefois avec vous dans ma retraitte. C'est dommage que ce petit païs soit si loin de Paris; rien n'est plus délicieux L'été et l'automne. Il est vrai que l'hiver c'est la Sibérie. Venez y donc cet automne, et tâchez d'y prendre goût. Florian s'y est fait une très jolie habitation dont il est enchanté. Il sera un jour vôtre premier vassal, et vous devra foi et hommage.
D'Etallonde aurait été bien flatté de vous témoigner son extrême reconnaissance; mais son maître le demande à Potsdam, il faut qu'il parte dans huit ou dix jours. On a grande envie de le consoler des petits désagréments que les capucins lui ont fait essuier en Picardie. Vous savez combien son maître est indulgent envers ceux qui ont manqué de respect aux capucins. Il faut tâcher d'établir à Paris la même indulgence.
Adieu, mon cher ami, Le vieux bonhomme vous embrasse bien tendrement.
V.