13e juin 1775
Je ne puis attendre, Madame, le retour de Made Suard à Paris pour vous remercier de vos bontés, et pour vous présenter les hommages de Made Denis et les miens.
Elle a été à la mort pendant un mois entier, et est encor très languissante. Pour moi, Madame, qui ai apris à souffrir depuis quatrevingt et un ans, j'achêve ma carrière avec une grande consolation, et je l'égaie même quelquefois, puisque vous daignez me conserver votre souvenir et vos bontés.
Madame Suard m'a apris que vous même n'êtes pas éxempte des maux auxquels cette faible nature humaine est sujette, et que vous êtes réduite au lait d'ânesse. Je suis affligé de vôtre état beaucoup plus que du mien. Je me résigne aisément pour moi même, mais non pas pour vous, Madame; car il me semble que de la manière dont la nature s'est complu à vous faire, vous n'étiez point destinée à souffrir comme nous, et à tâter de nos misères. Je m'intéresse à vôtre santé autant que ceux qui sont assez heureux pour vous faire une cour assidue, et pour se partager entre Monsieur Neker et vous. Il permettra que je le remercie icy de la bonté dont il m'a honoré. Vous jouïssez tout deux dans Paris, de l'extrême considération que vous méritez. Je suis condamné à mourir loin de vous. Je serai dumoins pénétré jusqu'au dernier moment de ma vie des sentiments que je vous ai voués, de la reconnaissance que je vous dois, et de la respectueuse estime que vous inspirez à quiconque a eu le bonheur de vous connaître.
Le vieux malade de Ferney V.