1774-11-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Louis Claude Marin.

L'octogénaire malade, ensevéli sous dix pieds de neige, n'a guères eu la force d'écrire; à peine peut-il écrire son testament.
Il ne peut se résoudre à dicter une Lettre à Messieurs les habitants de Paris, que quand il a quelque chose à mander qui puisse en valoir la peine. Il a cette fois un sujet d'écrire, et le voicy.

Premièrement, mon cher ami, en supposant que vous êtes toujours lié avec Mr Linguet, je vous prie très instamment de lui demander si je puis lui confier, sous le secret le plus inviolable, une affaire très intéressante, dans laquelle il a déjà signalé il y a quelques années son éloquence et son courage avec un heureux succez, et dont les suittes méritent assurément toute son attention, ses bons offices secrets, et la circonspection la plus grande. S'il veut bien me promettre que cette affaire sera entre lui et moi, je lui réponds qu'elle lui fera un honneur infini lorsqu'elle sera terminée. Il ne s'agit point de plaider, mais d'instruire et de donner des conseils à des personnes qui attendent tout de ses lumières et de sa franchise. S'il veut bien vous donner sa parole qu'il ne me citera jamais, je le mettrai bientôt au fait. Je n'attends pour celà que vôtre réponse.

La seconde grâce que j'ai à vous demander c'est de vouloir bien vous informer si un officier retiré, après quarante ans de service, peut à l'âge de soixante et huit ans, demander qu'on lui accorde le paiement entier des arrérages de sa pension de retraitte. Cette pension est de mille livres. On lui doit comme aux autres cinq ans d'arérages. Ces cinq années sont paiées à sa veuve s'il meurt. Y a t-il quelque officier à qui on ait fait la grâce de lui paier ces cinq années dues? et en cas qu'on puisse se flatter d'obtenir cette faveur, faut-il s'adresser à Monsieur le Controlleur général? n'est-ce pas plutôt au ministre de la guerre que l'on doit avoir recours? Quoique cette question ne soit pas immédiatement de vôtre ressort, cependant je présume que vous êtes assez répandu pour en être informé au juste, et je suis sûr que vous êtes assez bon pour m'en instruire.

Si en répondant à mes deux points vous me parlez de Henri 4 joué à la comédie française, à l'italienne et chez Nicolet, si vous me dites vôtre avis sur les opera nouveaux, et sur les mauvaises pièces nouvelles, ou siflées, ou aplaudies, vous égaierez le mourant transi qui vous sera très obligé.

V.