1774-10-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Vôtre gloire est si peu compromise dans l'étonnante affaire des faux billets, et vous êtes si supérieur à cette misérable affaire que je ne crains point, Monseigneur, d'abuser de vôtre loisir et de vos bontés, en mettant sous vos yeux la Lettre du jouaillier du Roi Aubert, et celle du notaire de Made Du Barry aux fabriquants de Ferney, au sujet de la montre en question.

Vous verrez par les deux endroits souslignés que le jouaillier du roi n'accuse pas juste, et que Mr Le Pot D'Auteuil est convaincu de la générosité de Madame Du Barry.

Je vois par la Lettre dont vous m'avez honoré sur cette affaire, qu'elle dépend entièrement de vous, et non du ministre des affaires étrangères. Le sr Aubert offre après deux années de rendre la montre aux ouvriers qui l'ont faitte, ce qui les jetterait dans un nouvel embaras. Ils sont les moins riches de tous ceux à qui j'ai donné dans Ferney des établissements; et je suis si épuisé par les frais immenses, qui sont très audessus de mon état et de ma fortune, que je serais très embarrassé s'il me fallait encor prendre sur moi cette perte.

Je compte donc sur la bonté avec laquelle vous voulez bien que Mr De Laferté fasse paier le prix de la montre aux srs Ceret et Dufour, fabriquants de Ferney.

Après vous avoir importuné de cette bagatelle permettez que je revienne à l'affaire des faux billets. Un des complices qui s'était enfui dans mon voisinage, et qui devait être arrêté, a été, come vous savez, manqué d'un quart d'heure. Mais ce qui me fait le plus de peine c'est l'acharnement de certaines personnes, à vouloir jetter des nuages sur une affaire si claire et si démontrée. On prend parti contre moi avec la même véhémence que quand il s'est agi de l'ancien et du nouveau parlement. Il faudra du temps pour que cet esprit de faction se dissipe.

Je rends grâce à tous les maux que me fait la nature, et qui m'empêchent de revoir Paris. Ils me sauvent des injustices dont je serais témoin et victime.

Si vous aviez eu le temps de lire la Lettre d'un prétendu théologien à je ne sais quel gredin nommé l'abbé Sabotier, vous auriez vu bien clairement que l'abbé de Voisenon n'y était insulté que parce qu'il avait pris parti pour le précédent ministère.

Je prends parti pour mes bleds qui me fournissent très peu de pain, et pour mes vignes qui me donnent du vin détestable. J'attends mes neiges avec fraieur, et je gémis avec une douleur inexprimable sur l'impossibilité où je suis réduit de porter mes hommages à mon héros. Il est triste de mourir si loin de lui.