1774-06-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Mon cher maître le petit discours patriotique de Mr Chambon a réussi chez tous les étrangers.
C'est le premier éloge vrai, que j'aye jamais lu. Si Louis 15 pouvait revivre, il le signerait. Mais il l'a signé, puisqu'il dit précisément la même chose dans son testament.

Je vois que vous êtes mécontent de ces mots, Ce que Louis 15 a établi et ce qu'il a détruit, mérite notre reconnaissance. Mais ce qu'il a établi c'est l'école militaire, ce qu'il a détruit, c'est la faction intolérable des jesuites. J'ose ajouter la faction de messieurs Crépin, Quatresous, Quatrehommes, Gelet, Poirau qui firent la guerre de la fronde, et leurs successeurs qui ont fait la guerre aux beaux arts et à la raison. Ce n'est pas à vous de prendre le parti des éternels ennemis de ces arts et de cette raison dont vous êtes le soutien.

Le feu Roi ne voulait et ne pouvait vouloir que le bien, mais il s'y prenait mal; son successeur semble inspiré par Marc Aurele. Il veut le bien, et il le fait. S'il continue il verra son apotéose avant l'âge où les badauts sont majeurs.

Je suis fâché de mourir avant d'avoir vu les prémisses du beau règne dont vous allez jouir. Je sens que je n'en ai que jusqu'à la chutte des feuilles.

J'employe mes derniers jours à faire réformer si je puis, la plus détestable injustice que l'ancien parlement ait jamais faitte. Si j'y réuississais je mourrais content. La seule chose dont Raton soit très mécontent c'est de partir sans avoir embrassé son cher Bertrand.