1773-04-06, de Sophie Durey de Verven à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

J’ai appris par mon Papa que j’ai eu le malheur de vous offenser.
J’ose Monsieur embrasser vos genoux pour implorer Votre indulgence. Vos bontés m’avaient enorgueillie au point de demender votre portrait par préférence à tout autres biens. J’ose encore le regarder comme le plus précieux de tous, et conserver l’espoir enchanteur de le Posséder un jour. Ne me le ravissés pas Monsieur; mettés le comble à Vos bienfaits en me pardonnant une faute dont un excès d’antousiasme est le cause. Je n’ai osée vous proposer un échange de vos dons, contre un autre bien plus précieux que parce que Vous aviés la délicatesse, de me donner la facilité de me procurer ce qui me plairais le plus. J’ai osée Monsieur vous dire que vous possédiés le seul bien que j’ambitionnais; le portrait du plus grand génie de l’Europe, et du plus bienfaisant des hommes. Mon péché est celui de l’ambition; il perdit le premier ange rebele suivant notre sainte écriture, mais le dieu de la Genèse était le dieu des vangances et vous êtes celui de la tolérance et des bienfaits. J’ose donc Monsieur espérer le pardon de ma faute; vous faites dire à Alvarès que le vrai dieu est le Dieu qui pardonne1. Vous êtes Monsieur une vivante image de l’être infiniment bon que vous faites adorer et dont Vous êtes le chef d’oeuvre. Vous me pardonnerai comme Vous dites qu’il pardonne. J’implore ce pardon généreux avec les sentiments des plus vifs regrets de ma faute. Mr de Florian m’a remit le premier quartier de la pension que vous m’avés procuré de Mad. De Sauvigni. Daignés Monsieur en recevoir mes Vives et très humbles actions de grâces. Je prend la liberté de vous envoyer une copie de ma lettre à cette généreuse dame. Vous y verrés l’emploi que je me propose de faire de ses bienfaits. Je n’aurai pas pris la liberté de lui écrire sans vous soumêtre ma lettre, si le jour du courrier ne m’ut pressée, et je craignais que mes remerciments ne fussent trop tardifs. J’ai demandé à Mr de Florian si je pouvais prendre la liberté de remercier Mad. De Sauvigni; il l’a approuvé et j’ai crû qu’en cela Monsieur son avis, était votre ordre.

J’ai obtenu de Mr Du Rey, Monsieur, qu’il ne demenderait plus rien pour moi à la direction, qu’il se bornera à parler de ses embaras et à demender d’en être tiré. Daignés Monsieur avoir pitié de ses malheurs; à présent qu’il ne parlera plus de moi ses demendes n’ont rien de révoltant. Il offre de recevoir 100 pistoles de moins pendant 12 ans et de renoncer à tout accroissement pour avoir 12 milles livres pour se liquider et se mettre à son aise. Il est bien dur Pour Mr Du Rey d’être obligé de se contenter pour le reste de ses jours d’un revenu de 5 milles livres; étant né pour en avoir deux cents milles. Mais au moins il vivra trenquile dans sa retraite. Il me parait déterminé à se borner à dépenser ce qu’il aura et à ne plus s’endetter. A son âge après les revers qu’il a éprouvé, il me semble qu’il ne doit plus songer qu’à jouire sans inquiêtude dans une médiocrité décente du débris de fortune que l’on lui à conservé. Je fais de bien bon coeur le sacrifice de ce que je pourrais espérer de la direction. Je signerai si on le voulait tel désistement que l’on me prescrirait des demendes faites en mon nom; et je chercherai en Vivant avec Mr Du Rey les moyens de ne pas diminuer le peu de fortune qu’il possédera. Je lui dois plus que la vie, il m’a tiré en m’appelant auprès de lui du plus Cruel esclavage, il m’a procuré le bonheur, de vous voir, de vous baiser la main! . . . . Il à de tout tems tout fait pour moi. Son excessive tendresse à préparée mes malheurs en me donnant une éducation et un ton que la fortune ne soutiens pas, et qui m’ont conduite à un choix plus brillant que solide. Mais en gémissant des effets, je lui sçais gré des causes. Pardonnés Monsieur si j’ose vous implorer pour lui, je suis un des objets pour qui il s’est endetté; il ne me devait rien, la loi l’autorisait à m’abandonner, mais la nature lui imposait une autre loi. Serat-il malheureux pour avoir écouté la Voix du sang, et de l’humanité? Non Monsieur, de tels sentiments sont faits pour mériter Votre approbation. Vous trouverés Mr du Rey malheureux et non coupable; vous désirés la fin de ses embaras; vous les ferés finir. Oui Monsieur si vous proposés ses demendes; si vous les appuyés; je suis sûre du succès. Bientôt je pourrai tomber à vos genoux vous remercier de la trenquillité que vous aurés rendu à Mr Du Rey. Ses jours étant plus calmes en seront plus longs. Je vous deverai bien plus que la vie; je vous devrai la prolongation de celle du plus tendre des Pères! . . . . Ce bienfait Monsieur est digne de vous.

Je suis avec la plus vive reconnaissance; le plus grand regret de vous avoir déplus et le plus profond respect

Monsieur

Votre très humble et très obéissante servante

De Verven

Je me sers d’une main et d’un cachet inconnû à mon Papa de peur qu’il ne trouve l’envelope et qu’il ne demende sur quoi j’ai pris la liberté de vous écrire. Je ne sçais pas mentir sans rougir.