1773-02-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Il n’est pas douteux, mon cher ange, qu’il ne faille absolument retirer la pièce, pour attendre une saison plus favorable.
Il est bien cruel que ce Valade ait choisi tout juste le temps où je travaillais à cet ouvrage pour le défigurer si indignement. Mais il est bien étrange que Mr de Sartines n’ait pas fait saisir tous les éxemplaires. Les méchants qui sont toujours en grand nombre ne manquent pas de faire à croire que c’est moimême qui ai fait imprimer la pièce telle qu’elle est, et qui crie contre ma propre sottise.

Vous avez dû voir dès le premier moment quel est celui dont l’avidité insatiable a vendu ce misérable manuscrit au Libraire Valade. Il m’a fait beaucoup plus de tort qu’il ne pensait, et il doit se repentir de la lâcheté de son action.

J’envoie à Mr de Thibouville un billet signé de moi pour retirer la pièce. J’écris à M: le Mal De Richelieu pour le suplier d’empècher qu’on ne la représente. Voilà tout ce que peut faire un pauvre vieillard attaqué d’une strangurie cruelle, c’est un mal pire que tous les Comédiens et tous les Valade du monde; je pourais bien en mourir. En ce cas je ne ferai plus de mauvais vers, et on ne m’en attribuera plus. Mais je mourrai en aimant mes anges.