29e 7bre 1772 à Ferney
Mon cher successeur, on a donc éssaié sur mon image ce qu’on fera un jour pour vôtre personne.
La maison de Mademoiselle Clairon est donc devenue le temple de la gloire. C’est à elle à donner des lauriers puisqu’elle en est toute couverte. Je ne pourai pas la remercier dignement. Je suis un peu entouré de cyprès, on ne peut pas plus mal prendre son tems pour être malade. Mr Le Kain est chez moi; il a joué six de mes pièces, et l’auteur est actuellement dans son lit. Je vai pourtant me secouer, et écrire au grand prêtre et à la grande prêtresse.
Je n’ai point lu Romeo. On m’a mandé que celà était un peu bisare; mais j’attends les Barmecides comme on attend du vin de champagne dans un païs où l’on ne boit que du vin de Brie.
Je vous avais envoié les cabales et les systêmes, mais vous étiez à la campagne.
Je suis fâché, mon cher successeur, de mourir sans vous revoir. Nous avons actuellement Mr Deflorian que vous connaissez, il s’est remarié avec une jolie huguenote, et devient un habitant de Ferney, où nous lui bâtissons une jolie maison. Ce séjour est bien changé. Il est vrai que nous n’avons plus de théâtre; mais en récompense nôtre village est devenu une petite ville assez jolie, toute pleine de manufactures florissantes. C’est dommage que je m’y sois pris si tard; et j’avoue encor qu’un souper avec vous chez Madelle Clairon vaut mieux que tout celà.
Vous avez donc changé d’habitation. Je vous souhaite, quelque part que vous soiez, autant de bonheur que vous avez de talents. Made Denis ne vous oublie point mais elle n’écrit à personne. Sa paresse d’écrire est invincible, et parconséquent pardonnable. Elle est uniquement occupée de l’éducation de la fille de made Dupuits qui a de singuliers talents. Mr De Bouflers ne dirait pas d’elle qu’elle tient plus d’une corneille que du grand Corneille.
Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur, et je me recommande au souvenir de madame de Laharpe.