1772-09-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Octavie Durey de Mesnières.

Un vieillard près que octogénaire, Madame, tout accablé qu’il est de maladies, n’a pu recevoir des marques de confiance de Monsieur Vôtre fils, et lire son excellent mémoire sans se ressouvenir du mérite de Madame sa mère, et des bontés dont elle l’a honoré autrefois.

Recevez mes très sincères compliments sur vôtre nouvelle union qui doit faire deux heureux, si le mot d’heureux est fait pour les pauvres mortels. Vous vivez avec l’homme du monde le plus estimable, et loin des tracasseries de Paris. Si avec celà le bonheur n’est pas chez vous il n’est nulle part. Il y a plus de vingt ans que j’ai trouvé dans la retraitte ce bonheur après lequel tout le monde court dans les villes.

Je vous souhaitte surtout, à Monsieur De Meyniere et à vous, une bonne santé sans laquelle il n’y a rien. Je ne l’ai jamais eue, cette santé si nécessaire; j’ai vécu pour souffrir; ainsi, ce que j’appelle mon bonheur n’est que ma consolation.

J’ai bâti une espèce de petite ville, j’y ai fait venir une colonie, j’y ai établi des manufactures, et puis j’ai dit, tout est vanité. Mais ce qui n’est point vanité, et ce qui pourtant nourit en secret la mienne, c’est la Lettre dont vous honorez ce pauvre malade, qui présente ses respects à Monsieur et à Madame.

V.