1772-05-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gottlob Louis von Schönberg, Reichsgraf von Schönberg.

Le vieux solitaire, le vieux malade de Ferney est également reconnaissant du souvenir de monsieur le comte de Schomberg et de la visite de m. le baron de Gleichen.
C'est vraiment une ancienne connaissance. J'avais eu l'honneur de le voir il y a bien longtemps chez made la margrave de Bareith. Il paraît un peu malade comme moi; mais il court, et je ne puis sortir de ma chambre. Il y a deux ans que je n'ai mis d'habit. Il va chercher la mort, et je l'attends. Il est assurément fort aimable. Je le plains beaucoup, lui et son maître.

Sa nouvelle sur la Pologne, si bien accréditée à Paris, étonne beaucoup notre Suisse. Un comte Orlof qui était hier dans mon ermitage dit qu'il n'y a pas un mot de vrai, et les lettres de l'impératrice de Russie semblent dire tout le contraire de ce qu'on débite. Nous autres ermites pacifiques qui mangeons tranquillement notre pain à l'ombre de nos figuiers, nous sommes fort mal informés des bouleversements de ce monde, et nous laissons aller ce malheureux monde comme il plaît à dieu.

Votre Allemand danois, monsieur, m'a apporté une lettre du prophète Grimm avec la vôtre. Je ne sais où prendre ce prophète, j'ignore sa demeure, je crois qu'il a un titre de secrétaire de mgr le duc d'Orléans; il me semble par conséquent que je puis vous demander votre protection pour lui faire parvenir ma réponse. Je me suis imaginé que vous pardonnerez cette liberté. Il veut que je lui envoie un conte intitulé la Bégueule qui est, dit on, d'un ex-jésuite franccomtois. Je prends le parti de vous envoyer ce conte bon ou mauvais, et je l'avertis que s'il veut en avoir copie, il vienne vous demander la permission de le transcrire chez vous.

Soyez bien persuadé, monsieur le comte, que mon cœur est pénétré de vos anciennes bontés, et que vous n'avez point de serviteur plus respectueusement attaché, comme de plus inutile.