1772-01-26, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François Marmontel.

Je vous écris bien tard, mon cher ami, mais je n’ai pas un moment à moi.
Mes maladies et mes travaux qui ne les soulagent guères, occupent tout ce malheureux tems. Ces travaux sont devenus forcés, car quand on a commencé un ouvrage il faut le finir. J’envoie six, sept et huit aux adresses que vous m’avez données, et j’espère que ces rogatons vous parviendront sûrement.

Je verrai bientôt cet helvetius que les assassins du chevalier de La Barre traittèrent si indignement, et dont je pris le parti si hautement. Je n’avais pas beaucoup à me louer de lui, et d’ailleurs je ne trouvais pas son livre trop bon; mais je trouvais la persécution abominable; je l’ai dit et redit vingt fois. Je ne sais si Mr Saurin a reçu un petit billet que je lui ai écrit sur la mort de son ami.

Je dois de grands remerciements à Mr L’abbé Morelet pour une dissertation très bien faitte que j’ai reçue de sa part. Je n’ai pas la force de dicter deux Lettres de suitte. Chargez vous je vous en prie de ma reconnaissance, et dites lui combien je l’estime et je l’aime.

Ma misère m’empêche aussi d’écrire à Mr D’Alembert. Embrassez le pour moi aussi bien que tous mes confrères qui veulent bien se souvenir que j’existe.

Dites à Madlle Clairon que je ne l’oublierai qu’en mourant, et aimez vôtre ancien ami V qui vous est tendrement attaché jusqu’à ce qu’il aille fumer son jardin après l’avoir cultivé.

V.