Monsieur, Si Vous Vous trouvés malheureux dès que Moustapha n’est pas batu coup sur coup, les mois d’hiver ne peuvent que Vous doner de l’humeur, cepandant j’ai reçuë la consolante nouvelle que Crayova en Valachie, sur la rivière Olta, a été occupé par mes troupes dans le courant du mois passé; Il me semble que Vous devriés être content de l’année 1770, et qu’il n’i a pas encore de quoi coqueter avec le Roy de la Chine mon voisin, à qui malgré ces Vers et Votre passion naissante (n’allés pas Vous en fâcher) je dispute à peu près le sens comun.
Vous dirés que s’est jalousie toute pure de ma part, point du tout, je ne troquerai point mon nez à la Romaine contre sa façe large et plate, je n’ai aucune prétension à sa capaçité de faire des mauvais vers, je n’aime à lire que les Vôtre. L’épitre à mon rival est charmante, j’en ai d’abord fait part au Prince H[enry d]e Prusse à qui elle a fait un égale pla[sir. Mais s]i le destin veut que près de Vous j’aye un rival, au nom de la Vierge Marie, que ce ne soit point ce Roy de la Chine contre qui j’ai une dents. Prenés plutôt Monseigneur Aly Bey d’Egipte, qui est tolérants, juste, affable, humain. Il est parfois un peu pilliard, mais il faut passer quelques défauts à son prochain, les lampes d’or de la Mecque l’ont tenté, hébien il saura en faire un bon usage, la besogne en reviendra à Moustapha Gazi, qui ne sait faire ni la paix ni la guerre. Vous dirés peutêtre que je cherche à gêner Vos goûts, que cela n’est point équitable, je ne prétend point Vous gêner; je Vous présente seulement une pétitions ou remonstrance en faveur d’Aly d’Egipte contre le nez camus et les mauvais vers de mon sot voisin avec lequel je n’ai plus de démêlés Dieu merci.
J’ai reçuë Vos livres Monsieur, je les dévore, je Vous en suis bien redevable de même que pour la page dix sept, je serais au désespoir si cela faisoit du tort à l’Auteur dans sa patrie. Le seigneur qui m’avoit pris en gripe n’a plus voix en chapitre, peutêtre ses successeurs distingueront ils mieux les affaires d’avec les passions personelles, du moins pour le bien du bon sens faut il l’espérer. Je Vous prie instament de me faire tenir la suite de cette Ençiclopédie lors qu’elle paraitra. Dites moi je Vous prie, si Vous avés reçu la volumineuse description de la fête que j’ai donée au Prince de Prusse. Il y a six jours qu’il nous a quité, il a paru ce plaire ici plus que l’Abbé Chape qui courant la poste dans un traineau bien fermé a tout vu en Russie.
Après les informations les plus exacte sur la requête de Vos Genevois, j’ai trouvée que Mr Tochoglokef a beaucoup de dettes et que tout son bien est dissipé. Pour ce qui regarde la manifacture des montres de Ferney, je Vous ai déjà écrite de nous envoyer des montres de toutes espèçes pour quelques milliers de roubles, je les prendrai toutes.
Le Roy de Prusse a beau dire, Aly Bey est maitre souverain de l’Egipte. Si je vais à Stamboul je le prierai d’y venir, afin que Vous le puissiés voir de Vos yeux, et come je ne doute point que Vous ne me fassiés le plaisir d’accepter la place de Patriarche Vous aurés la consolation d’administrer à Aly Bey le baptême par imersion, et par conséquent Vous voudrés bien jusque là ne point mourir de douleur de ce que je ne suis pas encore à Constantinople; qu’elle est la pièce qui finit avant le troisième acte, et quel est le roman qui abandone son Héros à moitié chemin en quartier d’hiver au bord d’une rivière? Je suis toujour avec beaucoup d’amitié la plus sincère de Vos Amie.
Caterine
à St: Petersb : ce 23 Janvier [3 February n. s.] 1771