1771-01-29, de Charles Augustin Feriol, comte d'Argental à Voltaire [François Marie Arouet].

Le jeune homme a très bien fait, mon cher ami, de corriger le vuide que nous reprochions à son seçond acte mais nous attendons de sa docilité qu’il voudra bien prendre en considération les autres remontrances que nous avons pris la liberté de lui faire.
Nous y ajoutons qu’il ne faut pas que pour soigner son cadet il néglige ses autres enfants qui sont plus prés à se produire dans le monde, car on le dit père de Sophonisbe et du dépositaire. Il promet des vers pour cette Sophonisbe et il ne les envoye point et il semble qu’il l’ait oublié. Cela n’est pas bien d’autant plus que nous comptons la donner à la rentrée de pasques. Le Kain va en attendant essayer ses forces dans des rosles froids, ce qui lui coûtera, puis qu’il a plus de chaleur encor qu’il n’en avoit et surtout plus de zèle que jamais pour les productions de son bienfaicteur. Quant au dépositaire nous en ferons incessament une lecture en présence de Marin et nous tâcherons de le convaincre qu’il n’y a rien dans cette pièce que la police puisse justement reprendre. Surtout ne la faites point imprimer, ce seroit ôter tout le piquant de l’ouvrage. Nous recevrons avec plaisir et reconnoissance l’êpitre au Roi de Dannemarc qui est en effet bien louable sur son ordonance et qui a donné un exemple très bon à imiter et qui ne le sera pas. On m’a parlé d’un barmecide que je désirerois fort d’avoir, et d’une épitre au pape dont on soupçonne l’auteur sans cependant qu’on m’ait donné à ce sujet aucune certitude. Je vais à présent tâcher de répondre à vos questions. Ce qu’on vous a mandé de la lettre de l’homme de considération écritte à un de ses anciens amis au sujet de sa femme est très vray. J’adopte très volontiers (surtout dans ce moment cy) l’éloge que vous en faites. Mr et Made doivent beaucoup et je crains fort que cela ne passe la somme dont on vous a parlé. Ils ne reçoivent de visites que de leur famille. L’ami de 35 ans est un peu mieux, cependant très foible et fort peu de someil. Il m’a chargé de vous remercier tendrement de l’intérêt que vous lui avés marqué et de vous témoigner son regret de ne pouvoir vous écrire. La Ponce restera quelque jours pour donner des instructions après quoi il compte jouir d’un repos qui fait l’objet de ses désirs. Que dirons nous du parlement? Rien. Quelque sujet qu’on ait de se plaindre des malheureux ou si vous voulez des morts, il faut les respecter. La seule réflexion qu’on ne sçauroit se refuser est que les fanatiques tôt ou tard font une mauvaise fin. Adieu mon très cher ami. Notre santé se soutient si vous en exceptés les rhumes inséparables de la mauvaise saison. Nous vous exhortons à rétablir la vôtre, c’est à dire celle du corps car celle de l’âme est dans toute sa force et nous répétons souvent cet excellent mot que vous êtes tombé en jeunesse. Nous vous embrassons de tout notre coeur et nous espérons que me Denis voudra bien prendre sa part de notre embrassade.