1770-12-31, de [unknown] à Voltaire [François Marie Arouet].

L'hommage que je vous rends, Monsieur, en vous envoyant ce petit Volume, n'est pas le premier que vous receviez de moi.
Lorsque je sortois du Collège, saisi d'admiration à la première lecture de vos ouvrages, je voulus connaître l'homme étonnant qui les avait produits. Je vous demandai la permission de vous voir, et j'eus l'honneur de vous faire quelques visites. Ces circonstances et mon nom ont échapé sans doute à votre mémoire; si je les y rappelle, c'est pour vous dire que l'admiration que vous m'inspiriez alors ne s'est point effacée avec les illusions du premier âge, mais que soumise aux progrès de la raison, elle s'est accrüe et fortifiée avec elle. Il m'est aisé de prévoir, Monsieur, la façon dont vous comptez répondre à cette Lettre et au volume que j'y joins. Le Protocole de la politesse française prescrit en pareil cas des remerciemens vagues et des louanges plus vagues encore. Je voudrois que vous pussiez m'estimer assez pour vous écarter de cet usage en ma faveur et pour me donner des instructions solides aulieu de complimens frivoles. Je vous parois présomptueux sans doute en vous priant de me parler vrai sur ce que j'écris. Demander la vérité en stile d'auteur, annoncer qu'on la croit flatteuse à entendre; ne me prêtez point cette ridicule vanité: l'envie de pouvoir compter sur vos éloges, si je suis assez heureux pour que vous m'en donniez, le désir d'apprendre ce qui peut contribuer à l'avancement de mes foibles talens, voilà les motifs qui m'inspirent; et si cette profession est suspecte de la part d'un auteur, elle cesse de l'être en passant par les mains du philosophe respectable qui vous fait parvenir ma lettre. C'est auprès d'amis tels que lui que je me suis accoutumé dès long-temps à tout ce que la saine critique a de plus âpre et de plus rebutant; c'est ce qui me donne le courage d'implorer la vôtre. Je voudrois que vous joignissiez l'exemple au précepte, qu'en blâmant en moi le tour, le mot, la phrase, la scène, vous me dissiez ce qu'il falloit mettre à la place. Rien ne vous est plus aisé, sur tout pour les vers. C'est la seule critique vraiment utile. Celle qui ne fait que présenter les défauts, intimide et décourage. Vous me trouvez hardi, peut-être, Monsieur, de disposer ainsi de vous de votre temps; mais, outre que ma demande, faite d'un galant homme à un autre, n'est point déplacée, elle devient juste quand c'est l'écolier qui la fait à son maître.

Vous n'êtes pas grand, Monsieur, uniquement pour l'avantage de vous faire admirer. Vos lumières sont le patrimoine public, j'y ai ma part comme un autre et je vous la demande.