1770-11-12, de Voltaire [François Marie Arouet] à François Louis Allamand.

Je vous dois depuis longtems une réponse, Monsieur le prédicant philosophe, mais un vieux malade ne fait pas toujours ce qu'il veut.
C'est une opinion reçue en Angleterre qu'Abadie était Socinien. Vous savez que Jérome dans sa lettre à Pammaque avoue qu'il écrit souvent d'une façon et qu'il pense d'une autre. Je ne dis pas celà pour accorder le fatum avec Dieu et la liberté. Tout celà s'arrange à merveille chez Homère, chez les Turcs et chez nous, quand on veut s'entendre sans se manger les yeux, comme on fesait il n'y a pas si longtems. Il en est dit quelque chose à l'article destin, mais ce n'est que pour le 4ème Tome. Les trois premiers sont à peine pour A, B, C. Cet alphabet poura faire crier, quoi qu'il soit d'un bon Catholique. Il faut laisser crier, tâcher d'être suportable, et suporter tout le monde. Plus on est sceptique plus on est de bonne composition. Je passe ma vie à prêcher la paix, et à tourner en ridicule ses ennemis. Par cette manœuvre je fais un peu de bien C'est ce qui me fait trouver grâce devant vous. J'aurai l'honneur de vous faire parvenir les trois rogatons alphabétiques le plutôt que je pourai.

Je vous prie de me conserver vos bontés dont je sens tout le prix, et de compter sur mon très sincère dévouement.

V.

L'abbé Terray m'avait pris deux cent mille francs dans son expédition de houzard, avant qu'il fût question d'Aléxandre.