1770-09-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul.

Nôtre bienfaicteur,

Vous savez probablement que le Roi de Prusse a été sur nôtre marché, et qu'il fait venir dixhuit familles d'horlogers de Genêve.
Il les loge gratis pendant douze ans, les éxempte de tous impôts et leur fournit des aprentifs dont il paie l'aprentissage. C'est du moins une preuve que les natifs de Genêve ne veulent pas rester dans cette ville, mes ces dixhuit familles de plus nous auraient fait du bien. Elles sont prèsque toutes d'origine française, je suis fâché qu'elles se transportent si loin de leur ancienne patrie, mais je me flatte que vôtre colonie l'emportera sur toutes les autres.

Dieu me préserve des Lettres de Venise qui disent qu'après la bataille navale contre les Turcs ces messieurs ont voulu assassiner l'ambassadeur de France parce qu'il portait un chapeau, que L'ambassadeur d'Angleterre a été obligé de se sauver déguisé en matelot, et que l'ambassadeur de Venise a échapé à faveur d'une garde. Je ne crois point la canaille turque si barbare quoi qu'elle le soit beaucoup.

J'ai eu la visite d'un serf et d'une serve des chanoines de St Claude. Ce serf est maître de la poste de st Amour et Receveur de Mr Le Marquis de Choiseul vôtre parent, et parconséquent vous apartient à double titre. Mais les chapitres de st Claude n'en ont aucun pour les faire serfs. Ils diront comme Sozie,

Mon maître est homme de courage
Et ne souffrira pas que l'on batte ses gens.

On les bat trop, les chanoines les accablent, et vous verrez que tout ce païs là qui doit nourir Versoy s'en ira en Suisse si vous ne le protégez. Le procureur général de Bezançon est dans des principes tout à fait opposés aux vôtres quand il s'agit de faire du bien.

Le vieil hermite de Ferney, très malade et n'en pouvant plus se met à vos pieds avec la reconnaissance et le respect qu'il vous conservera jusqu'au dernier moment de sa chétive éxistence.