Le 30 juillet [1770], à Ferney
On me dit, il y a un mois, mon cher Cicéron, que vous étiez en Normandie.
Je ne vous écrivis point attendant votre retour. Je ne sais plus où vous êtes; mais je ne puis rester [plus] longtemps sans vous remercier de votre dernière lettre. J'ignore si vous embellissez Canon, si vous faites vos moissons, ou si vous prenez la défense de quelque innocent persécuté. Vous donneriez bien tous vos vergers et tout votre froment pour secourir quelque infortuné. Sirven ne l'est plus. Il est toujours demandeur en réparation, dommages et intérêts, qu'il obtiendra difficilement. Je ne sais pas un mot des procédures. Je sais seulement que nous avons affaire à un procureur général un peu dur.
Savez vous bien que ce monsieur Riquet avait conclu à pendre madame Calas, et à faire rouer son fils et Lavaisse? Je tiens cette horrible anecdote de made Calas elle même. Le pays des Chicachas et des Topinamboux est la patrie de la raison et de l'humanité en comparaison de ces horreurs. Et voila de quels hommes nos vies et nos fortunes dépendent!
L'affaire de Sirven ne sera décidée qu'après la st Martin. Il y a huit ans que cette pauvre famille combat contre l'injustice.
Avez vous su l'histoire des deux amants de Lyon? Un jeune homme de vingt-cinq ans, et une fille de dix-neuf, tous deux d'une figure charmante, se donnent rendez-vous avec deux pistolets dont la détente était attachée à des rubans couleur de rose; ils se tuent tous deux en même temps. Cela est plus fort encore qu'Arrie et Petus. La justice n'a fait nulle infamie dans cette affaire. Cela est rare.
Avez vous lu le Système de la nature? Il ne me paraît pas consolant. Mais nous avons d'autres systèmes qui le sont encore moins, par exemple, celui des jansénistes.
Adieu, mon cher Cicéron; ne m'oubliez pas, je vous prie, auprès de madame Terentia.