1770-07-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Gabriel Cramer.

Vôtre suisse vraiment a fait une jolie faute, et moi j'ai eu une belle négligence.
Il a mis à la page 199 du tome 2d

tiran pour anglais, tirannos pour britannos.

Comme nous accusons un peu les Anglais d'être les Tirans des mers, on croira que je l'ai fait exprès, et ce livre qui est précisément fait pour l'Angleterre y serait regardé avec horreur si cette sottise subsistait. Je suis persuadé que vous y perdriez mille éxemplaires outre le discrédit qui en résulterait.

J'attendais les feuilles de l'art dramatique. Je soupçonne que vous êtes un peu empêché à la page où il faut imprimer de la musique. Vôtre Suisse n'y est pas accoutumé, et il ne parait pas avoir l'oreille sonnante.

Je pense que vous devriez envoier incessamment les deux premiers volumes à Paris, attendu que l'artillerie de l'assemblée du clergé a consommé toute sa poudre, et que cette armée se sépare vers le 22e d'auguste ou d'aoust pour aller prendre ses quartiers.

Je supose que quand vous avez donné deux éxemplaires à nôtre ami Pankouke vous n'avez pas manqué d'y mettre le carton du 1er volume.

J'ai envoié plusieurs feuilles à Made la Duchesse de Choiseul; j'en ai donné à quelques connaisseurs; tout le monde s'accorde à trouver l'ouvrage très modéré et très décent. S'il y a des gens qui veulent absolument y entendre finesse, s'ils croient que le poison est mêlé aux confitures ce seront eux qui seront les empoisonneurs, et non pas nous.

Il y a encor quelques fautes qu'on a oubliées dans l'errata. Il y a un petit avertissement à mettre audevant du 1er volume.

Je vous prie, mon invisible Caro, de m'envoier tout ce qui est imprimé cousu, car je n'ai pas deux feuilles qui se suivent. Donnez moi deux exemplaires cousus de tout ce qui a été imprimé, car je ne sais plus où j'en suis.

Voilà des feuilles que vous pouvez ajouter avec ce que vous m'enverrez. Mille compliments à Madame Cramer, j'embrasse Monsieur Jean Louis.