Fernex 21 Mars 1770
Monseigneur,
On m'assûra hier que M. De Voltaire est décidé à faire ses Pâques, afin dit-il, de ne pas encourir les Censures de L'Eglise.
Je crois qu'il les fera tout comme il le dit. Je connois combien il est ardent et entier dans ses vouloirs. J'ai déjà été obligé de lui résister dans d'autres choses, qui n'étoient pas d'une aussi grande conséquence que la Pâque, et sur Lesquelles quoique très-justes il ne vouloit entendre aucune raison. Le voilà maintenant déclaré Enfant spirituel, Bienfaiteur et Père temporel de L'ordre de st François. Le Général des Capucins Lui envoya dernièrement des Lettres de filiation, qui commencent par ces mots: D. D. Francisco-Maria Arrouet de Voltaire . . . . munificentissimo, cujus nomen omnes titulos supereminet. De plus M. le Cardinal De Bernis Lui écrivit, il y a quelque tems, et L'assûra que le Pape lui faisoit de grands complimens. Il a à sa dévotion tous nos Messieurs de Gex, à qui il rend tous les jours des services par son crédit auprès du Ministre. Les Capucins sont éternellement à L'aduler et à ramper devant lui. Les Pâques qu'il a faites toutes ces années passées m'inquiettent et m'embarrassent audelà de toute expression. M. Le Procureur du Roi vint samedi dernier à La Cure exprès pour me dire de ne pas le refuser, s'il se présentoit; qu'autrement je n'avois rien de mieux et de plus prompt à faire que de prendre la fuite. J'ai vû quelques Ecclésiastiques. Les uns m'ont dit qu'étant à ma place ils lui donneroient La Communion, s'il la leur demandoit. Les autres n'ont sçu me dire ce que je devois faire, ni ce qu'ils feroient eux-mêmes étant à ma place.
Ce qu'il y a de fâcheux, c'est qu'il nie mordicùs Les mauvais livres qu'on lui attribue, et qu'on seroit fort embarrassé de prouver juridiquement qu'ils sont de lui. Il décline visiblement, il ne peut plus sortir, pas même s'habiller. Il recommande très-fort ses Domestiques de venir aux offices; ils y viennent en effet exactement et sont très-modestes. Il y en a même qui viennent à La Messe les jours d'œuvre. Ils ne font point gras. Je suis assez content des Enfans, ils viennent avec plaisir au Catéchisme, que j'ai fait jusqu'à présent quatre fois la semaine indépendamment du Dimanche. Depuis que je suis dans cette Paroisse j'ai eu beaucoup de monde à Confesser les Dimanches et Les fêtes. Cependant une Mission dans quelque tems y seroit bien nécessaire, autant que je puis connoître.
Il y a environ deux mois que Mde Denis me dit qu'elle vouloit avoir l'honneur d'écrire à Votre Grandeur pour la prier de permettre au P. Adam au moins de dire la Messe. Il vient assidûment aux offices et mène une vie fort solitaire. Il paroît à L'Eglise en soutane.
Je supplie Votre Grandeur d'avoir la bonté de me donner les avis qu'elle jugere à propos, et d'agréer Les sentiments du trèsprofond respect avec Lesquels j'ai L'honneur d'être
Monseigneur
Votre très-humble et très-Obéissant serviteur
Hugonet Curé
Je supplie Monseigneur de vouloir addresser à M. L'official La réponse dont il lui plaîra de m'honorer. Autrement je crains qu'elle ne me parvienne pas.