à Paris , ce 10 mars [1770]
Nos lettres vont toujours se croisant, mon cher & illustre confrère; j'ai reçu le cahier que vous m'avez envoyé.
Je suis touché comme je le dois, de votre confiance, et je vous envoie, puisque vous le voulez, mes petites observations.
pag. 7. Ce n'est point à la tête du 3e volume de l'Encyclopédie, mais à la tête du 7e que se trouve l'éloge de Dumarsais.
pag. 8. Je crois cette digression déplacée pour plusieurs raisons, 1. parceque les secours dont il s'agit, si je suis bien instruit, ont été très modiques, et si je me trompe, pour une seule personne, et de plus accordés de mauvaise grâce, et en déclarant qu'on n'aime point les gens de lettres ni les philosophes; c'est en effet ce qu'on a prouvé en plus d'une occasion. 2. Parceque je crois qu'un homme en place qui aide les gens de lettres du bien de l'état, pense et agit plus noblement pour elles et pour l'Etat, que celui qui leur donne des secours de son propre bien, surtout s'ils sont donnés comme je viens de la dire. 3. Parceque je crains que ces Eloges, donnés dès le commencement d'un dictionnaire dans un article qui ne les amène pas, & à propos de la voyelle A, ne paroissent de l'adulation, et ne préviennent le lecteur contre un ouvrage d'ailleurs excellent.
page 9. Les remarques sur l'ortographe de François sont très justes; mais on feroit peut être bien d'ajouter que Français ne représente guères mieux la prononciation, & qu'on devrait écrire Francès, comme procès. C'est un autre abus de notre écriture que cet emploi d' ai pour e.
page 12. Les hiatus sont sans doute un défaut en général mais 1. Il y a des hiatus à chaque moment au milieu des mots, & ces hiatus ne choquent point; croit-on qu' ilia, intestins, soit plus choquant qu' il y a dans notre langue? 2. Ne devroit on pas dire que c'est une puérilité, & souvent un défaut contraire à la simplicité et à la naiveté du style, que le soin minutieux d'éviter les hiatus dans la prose, comme le pratique l'abbé de la Bleterie? Ciceron se moque dans son orator de l'historien Theopompe, qui s'étoit trop occupé de ce soin ridicule. Il me semble qu'au mot hiatus ou Baillement, on pourroit faire à ce sujet un article plein de goût. 3. Notre poésie même me paroît ridicule sur ce point; on rejette, j'ai vu mon père immolé à mes yeux, et on admet, j'ai vu ma mère immolée à mes yeux, quoique l' hiatus du second vers soit beaucoup plus rude. 4. Il a A ntoine en aversion, n'est point proprement le concours de deux a, parce que an est une voyelle nazale très différente de a. 5. Pourquoi est ce un défaut qu'un verbe ne soit qu'une seule lettre? qu'importe qu'on y employe une seule lettre ou plusieurs? Le seul défaut, c'est l'identité de la préposition à , et du verbe a.
p.13. Vers la fin, ne faut il pas dire: Vous voyez très rarement dans Virgile une voyelle suivie du mot commencant par LA MEME voyelle? Car rien n'est plus commun, ce me semble, dans Virgile et dans tous les Poëtes, qu'une rencontre de deux voyelles différentes. D'ailleurs il y a, ce me semble, dans Virgile, et assez fréquemment des Elisions encore plus rudes que arma amens, comme multum ille et terris&c. et mille autres semblables.
Voilà bien du bavardage dont j'aurois dû me dispenser, en songeant au proverbe ne sus Minervam. L'auteur devroit bien consoler mon imbécillité (qui dure toujours) en m'envoyant la suite de l'ouvrage, si elle lui tombe entre les mains. J'embrasse de tout mon cœur mon illustre et respectable confrère, et je lui fais mon compliment sur le succès de Sirven, dont l'humanité lui est uniquement redevable. J'ai reçu il y a quelque temps par l'abbé Audra lui même l' histoire générale abrégées, et je lui ai écrit une lettre de remerciemens, de félicitation et d'encouragement.