30 octobre 1769
Si j'en avais cru mon cœur je vous aurais remercié plus tôt, mon très cher confrère: vous avez fait une manœuvre de grand politique en ne vous trouvant point au rendez-vous.
Je suis persuadé qu'on aurait fait valoir en vain les louanges prodiguées dans la pièce aux pontifes, gens de bien et tolérants. Il y a des traits qui auraient déplu à l'architriclin, tout homme de bien et tolérant qu'il est.
M. de la Verpilière ne risque certainement pas plus à faire représenter cette pièce que de me donner à souper à Lyon, si j'étais homme à souper, mais je crois toujours qu'il est bon d'en différer la représentation jusqu'au départ du primat. Alors soyez très sûr que je partirai et que je viendrai vous voir mort ou vif. Si je meurs à Lyon ses grands vicaires ne me refuseront pas la sépulture, et si je respire encore ce sera pour vous ouvrir mon cœur, et pour voir s'il se peut les fruits de la raison éclore dans une ville plus occupée de manufactures que de philosophie.
Si vous avez ces fragments de Michon et de Michette qu'on vous a tant vantés, je vous demande en grâce de me les envoyer. Le titre m'en paraît un peu ridicule. On dit que c'est une satire contre trois conseillers au parlement. Je soupçonne un très grand seigneur d'en être l'auteur; mais je ne puis lui pardonner de n'avoir pas le courage de l'avouer. Ce procédé est infâme. J'ai bien de la peine à croire qu'une satire sur un tel sujet, soit aussi bonne qu'on le dit. Ceux qui font courir leurs ouvrages sous le nom d'autrui sont réellement coupables du crime de faux; mais il s'agit de confronter les écritures. Tout ce que je puis vous dire, c'est que je ne connais ni Michon, ni Michette, ni les trois conseillers au parlement dont il est question; et que l'auteur, quel qu'il soit, est un malhonnête homme s'il m'impute cette rapsodie.
Adieu, mon cher confrère; je vous embrasse toujours avec le désir de vous voir.