16e 7bre 1769, à Ferney
Le livre dont vous me parlez, Monsieur, est évidemment de deux mains différentes.
Tout ce qui précède l'attentat de Damiens, m'a paru vrai et écrit d'un stile assez pur. Le reste est rempli de solescismes et de faussetés. L'auteur ne sait ce qu'il dit. Il prend le président de Berigni pour le président de Nassigni. Il dit qu'on a donné des pensions à tous les juges de Damiens, et on n'en a donné qu'aux deux raporteurs. Il se trompe grossièrement sur la prétendue union de mr D'Argenson et de mr De Machault.
Vous aimez les Lettres, Monsieur, et vous êtes assez heureux pour ignorer le brigandage qui règne dans la Littérature. L'abbé Desfontaines fit autrefois une édition clandestine de la Henriade, dans laquelle il inséra des vers contre l'académie pour me brouiller avec elle, et pour m'empècher d'être de son corps. On a eu cette fois cy une intention plus maligne. Ces petits procédés, qui ne sont pas rares, n'ont pas peu contribué à me faire quitter la France, et à chercher la solitude. L'amitié dont vous m'honorez me console; je vous prie de me la conserver, j'en sens tout le prix; je serais enchanté d'avoir l'honneur de vous voir; mais il n'y a pas d'aparence que vous puissiez quitter les états de Bourgogne et la cour brillante de Monseigneur le Prince de Condé pour des montagnes couvertes de neiges et pour un vieux solitaire devenu aussi froid qu'elles.
V.