1769-09-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis François Armand Du Plessis, duc de Richelieu.

Mon héros,

Je suis un imbécile.
Je voulais qu'elle trouvast sur sa toilette ce qui est à la gloire de son amant et de son ami. On n'a pas le temps de lire dans le pays où vous êtes, et j'avais mis le doigt sur les endroits qu'on doit lire avec plaisir.

La lettre dont mon héros m'honore du 26 auguste (que les Welches appellent barbarement aoust) a été croisée par celle de son vieux serviteur qui lui demandait les Scites très humblement et très instamment au lieu de Mérope ou après Merope.

Je vous remercie de tout mon coeur Monseigneur de vos bontéz pour la princesse de Navarre. La musique est charmante, et en vérité il y a quelquefois d'assez jolies choses dans les paroles. Je n'aurais pas osé vous la demander. Vous mettez à votre ordinaire des grâces dans vos bienfaits.

Mais il faut que mon héros ait le diable au corps d'imaginer que je parle de la musique de Pandore sans l'avoir entendue. J'en ay entendu trois actes dans mon hermitage. Madame Denis qui s'y connaît parfaitement en a été très contente. M. le duc d'Aumont qui avait pris d'autres engagements demandait qu'une belle dame lui forçast un peu la main. Je suppose que mon ami Laborde a fait sur cela son devoir et ses diligences.

Mon héros est encor possédé d'un autre diable, en croiant que je m'adresse à M. Dargental pour les bagatelles du théâtre. J'en suis bien loin. Mais il est rempli de l'esprit divin en fesant de belles réflexions sur les vanitez et sur les tracasseries de ce monde. Le grand Condé disait à Chantilli qu'ayant tâté de tout, il était lassé de tout. Vous êtes encor dans la fleur de l'âge, vous n'avez que soixante et onze ans. Quand vous en aurez soixante et seize comme moy vous serez bien plus grand philosophe que je ne puis l'être. Vous verrez d'un oeil bien plus aguérri toutes les pauvretez de ce monde, et vous jouirez de votre belle âme en paix. A Dieu ne plaise que je mette les beaux arts dans le rang des misères dont on doit être dégoûté. Cela serait horrible en parlant au doyen de l'académie française.

Je ne sçais si une tragédie nouvelle intitulée les Guèbres est parvenue jusqu'à vous. Si vous vouliez vous en amuser, je vous en enverrais une édition quoy qu'elle me soit dédiée. Vous verriez qu'on peut faire quelque chose du jeune autheur.

Agrées monseigneur mon très tendre respect et ma vive reconnaissance.

V.