1769-05-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

On renvoie aux divins anges les deux frères avec les quatre-vingts vers nouveaux qu'on avait promis.
On y ajoute la préface honnête qui doit faire passer l'ouvrage si on a encore le sens commun à Paris. Il me paraît juste que Marin et le Kain partagent le profit de l'édition.

Mes chers anges sont tout ébouriffés d'un déjeuner par-devant notaire, mais s'ils savaient que tout cela s'est fait par le conseil d'un avocat qui connaît la province, s'ils savaient à quel fanatique fripon j'ai affaire, et dans quel extrême embarras je me suis trouvé, ils avoueraient que j'ai très bien fait. On ne peut donner une plus grande marque de mépris pour ces facéties que de les jouer soi même. Ceux qui s'en abstiennent paraissent les craindre. C'est le cas de qui vous savez; on dit que laquelle vous savez affiche aussi la dévotion. Mais vraiment c'est très bien fait, car je suis très dévot aussi, et si dévot que j'ai reçu des lettres datées du conclave.

Je ne manquerai pas, mon cher ange, de prendre le parti que vous me proposez si on me rembourse. J'aime à être à l'ombre de vos ailes dans le temporel comme dans le spirituel.

N'avez vous pas perdu un peu à Cadix avec les Gilly? J'en ai été pour quarante mille écus. J'ai perdu en ma vie cinq ou six fois plus que j'ai eu de patrimoine; aussi ma vie est elle un peu singulière. Dieu a tout fait pour le mieux.

Portez vous bien tous deux, mes anges, c'est là le point capital.

V.