[c. February 1769]
Il est bien difficile Monsieur d'être juste avec ses amis quand on désire vivement de ne pas en être oublié.
Cependant je l'ai été avec vous, et j'ai très bien compris que quoique vous ayez été longtems sans me donner de vos nouvelles je ne devois point m'allarmer. Je connois un peu le tourbillon de Paris, et je vous remercie de tout mon coeur d'avoir trouvé le moment de vous occuper de moi.
Vos réflexions morale, sur les besoins, les goûts, et les plaisirs, m'assurent que nous ne vous verrons pas revenir avec la douleur profonde d'avoir quitté Paris. Raportez cependant vos goûts et vos besoins. Je rend justice à Genêve, vous pourrez trouver à satisfaire l'un et l'autre. Notre hiver n'est point triste du tout, on y fait tout comme ailleur, ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas. Autre fois on se contentoit de le dire. Nous avons gagné à cet égard. Si Rilliet ennuie le public autant que moi, on finira par le jetter dans le Rône. Je suis excédée, rien de moins intéressant que cette cause. Voltaire est plus aimable que jamais. J'ai passé deux jours avec lui, il étoit gai causant, nous avons parlé de la mort en étouffant de rire. Il dit que les déprofundis lui battent les fesses. Pendant que nous causons père Adam mange comme un loup. Je suis fâchée que Mad. Denis ne s'amuse pas à Paris, je désirerois la revoir ici mais je crois son affaire faite. J'en ai dit un petit mot plusieurs fois, mais j'ai vû que le propos ne prenoit pas.
Je vois bien que vous ramènerez ma chaise, en ce cas je vous prie de la faire examiner afin que les petites réparations qui tiennent aux stors, aux lanternes &c. soient en bon état. On n'est point adroit ici pour ces choses là. Bon jour Monsieur, aimez moi et revenez dans votre petit hermitage. J'irai habiter le mien avant l'arrivée des hirondelles.
Cramer Delon