1768-10-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à David Louis Constant de Rebecque, seigneur d'Hermenches.

Le vieux malade bat des mains à l' exul & exilium, il crie, brave, du fond de son lit à tout ce qu'il apprend d'un Suisse aimable qui fait vaincre les difficultés; l'imitation de Seneque a le mérite qui manque à beaucoup de traductions.
Vous surpassez, monsieur, ces preux chevaliers que l'on chantait; ils savaient à peine signer leur nom; vous savez plusieurs langues, vous faites des vers, vous joignez au portrait de Paoli les pièces justificatives du procès, il est battu; & vous êtes modeste.

Seneque pleurait en Corse, il regrettait Rome; vous cueillez des lauriers sur ces rocs que vous ne trouvez pas horrides, vous y portez de la gaieté, & vous obliez Paris quand vous me promettez de venir vous reposer au pied du mont Jura; que ce soit bientôt je vous en supplie, je suis presque mort, vos lettres me raniment, votre présence me fera vivre; nous ne perdrons point notre temps à deviner Seneque. M. le marquis de Chauvelin se loue beaucoup de vous, vous verrez sa lettre, tout bon Français doit vous aimer, & le colonel général des Suisses & Grisons, doit mieux vous aimer que tous les autres. Je fais des vœus bien tendres pour votre conservation, il me parait que c'est tout ce qui reste à vous souhaiter. Vous savez ce que je vous suis.

V.