20 juillet 1768
Mr de Voltaire m'a Envoyé ma chère petitte fille sa réponse à mr Walpole pour que Je la lui fisse parvenir; Votre corespondance avec mr de Walpole étant beaucoup plus suivie que la mienne, J'ay crûs vous devoir l'hommage du plaisir qu'il recevra de la lettre de mr de Voltaire.
D'ailleurs vous connoissez ma chère Enfant, l'enfantillage ou plutôt le radotage de votre grand mère; j'ay trouvé qu'il seroit de beaucoup trop bon air pour moi d'entretenir une corespondance littéraire entre deux hommes aussi célèbres; ainsy il m'a semblé plus convenable à tous Egards que vous vous chargeassiez de la lettre. Mr de Voltaire en la laissant à cachet volant m'avoit donné la liberté de la lire, et vous pouvez juger si j'en ay profité, Je ne néglige guères de faire connoissance avec ses Ecrits. Quoiqu'il n'ait pas Etendû cette liberté jusqu'à vous Je vous conseil de la prendre, vous perdriez trop à une semblable discrétion. Vous sçavez combien j'ay été contente de la noble franchise avec laquelle mr Walpole a dénoncé lui même à mr de Voltaire le trait de sa préface du château d'Ottrante dont il auroit pû être blessé? Eh bien vous serez encore plus satisfaite de la politesse avec laquelle mr de Voltaire répond à cet aveu, vous serez charmée de la force que sa douceur a donné à la discution littéraire à laquelle ce même aveu avoit donné lieu; vous ne le serez pas moins de la chaleur et de l'intérêt que la seule raison a répandû sur cette discution; moi qui ne suis qu'une pauvre Welche, J'insiste sur ce mot de raison parce que Je n'entend rien à l'Eloquence; que la déclamation m'ennuye, que Je ne partage pas l'emportement, et que la plaisanterie ne me trouve pas toujours prête à rire; mais la raison, la saine raison revêtuë de ses vraÿes couleurs tel que mr de Voltaire sçait si bien l'en décorer, dans tout les tems, dans tout les lieux, a un pouvoir irrésistible dans tout les coeurs et sur tout les Esprits? Devroit on Jamais employer un autre langage quand on en a naturellement un si sublime. J'ay Eû surtout un plaisir infini à lui voir enfin déffendre notre pauvre nation dont il a si souvent dit tant de mal, de cette nation qui lui a donné le jour; à ce titre seul Je l'aurois crû respectable.
Il ne me sufit pas ma chère Enfant que vous preniez la peine d'envoyer la lettre de mr de Voltaire à mr de Walpole, mais il faut encore que vous faisiez ma réponse et mes remerciemens à mr de Voltaire. Vous sçavez que je ne me permet pas de lui Ecrire; dites lui que je suis flattée qu'il m'ait pris pour sa médiatrice; Je voudrois avoir les talents d'un ministre de paix, Je me flatte au moins de ne sçavoir point Emboucher la trompette de la discorde. Dites lui, . . . .ah dites lui ma chère enfant tout ce qu'il vous plaira, tout ce que vous direz vaudra infiniment mieux que ce que Je pense, et Je ne puis mieux témoigner ma reconnoissance à mr de Voltaire qu'en lui procurant une de vos lettres.
A propos, mr de Voltaire sera bien le maitre de vous envoyers sous mon adresse tout ce qu'il voudra, mais pourvû que J'aye mes droits de colporteur.