1768-07-05, de François Louis Allamand à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

Je viens de lire & de relire Les Conseils raisonnables à Mr Bergier, les Jésuites chassés de la Chine, & La Confession de foi du Théïsme.
Il n'y a de très neuf que la façon, mais cette façon, jointe à la faveur du moment me parait d'une terrible conséquence, & me fait trembler pour ma pauvre petite Cure de Corsier. Car voyés vous, Monsieur, l'Auteur a beau dire que ses amis n'en veulent point à nos Bénéfices, s'il obtient une fois qu'on se mette à réfondre nos cloches, ce ne sera pas pour s'arrêter en beau chemin, comme on fit il y a tantôt 250 ans. L'appétit viendra aux uns, ou leur est déjà venu, il reviendra aux autres, & je m'attends bien que des deux côtés du Rhin on fera raffle de ce qui reste. Il n'est pas, Monsieur, que vous n'ayés quelque connaissance de ce cruel Ecrivain. J'ai grande envie de me recommander à sa pitié par votre crédit, & il me semble que je suis tout plein de choses fort bonnes à dire, quoique, peut être, moins bonnes à écrire. D'ailleurs me voilà plus vieux de douze ans depuis que vous étes dans notre Horizon; je ne voudrais pas mourir sans vous avoir rendu mes hommages de près; Permettés le moi, Monsieur, & si une visite de trois jours dans la première quinzaine d'août ne vous incommode pas, si je puis m'y flatter de quelques entretiens, tête à tête, tout courts soient ils, de grâce ayés la bonté de me le faire savoir, ne fût ce que par ce seul mot Venés!

Après tout, c'est une chose à voir & à entendre qu'un Ministre de village qui prêche depuis 36 ans, à qui vous demandiés, il y en a trois, s'il était Philosophe, qui n'a pas osé répondre à la Question, & qui demande présentement à capituler.

J'ai l'honneur d'être avec un Respect plus vieux encore que mon premier sermon, mais qui n'ayant fait que croître & embellir est aussi frais que le premier jour.

Monsieur

Votre très humble et très obéïssant serviteur

Allamand