1756-02-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Ma chère enfant, mettez vous bien dans la tête qu'on ne guérit point par lettres, et que les maladies chroniques sont l'opprobre de la médecine.
Je suis à peu près dans le même cas que vous; et les ordonnances du docteur Tronchin m'ont fait plus de mal après m'avoir fait un peu de bien. Nous avons reçu de la nature, vous et moi, une mauvaise patraque qu'il faut raccommoder tous les jours. Le fond n'en vaut rien. Il n'y a d'autre parti à prendre que celui de vivre avec son ennemi qu'on porte dans soi. Il faut changer de remèdes, de régime, de nourriture; tantôt des eaux, tantôt de la casse; une semaine de lait, une semaine de riz; et puis de la viande, et puis des eaux: c'est une vie bien cruelle, mais nous y sommes réduits. Le tout est bien n'est pas fait pour nous.

Puissiez vous être en état, ma chère nièce, de venir aux Délices ce printemps. Le voyage fait du bien à tous les malades. Vous verrez le grand Tronchin, qui parle peu, mais qui a une belle figure, et qui sait autant de médecine qu'aucun homme de son espèce. Vous boirez de l'eau du lac. Pour moi je devrais boire de l'eau du fleuve Léthé quand je songe à tous ces sermons qui paraissent sous mon nom. Je vous enverrai celui que Liebaut prêche; il sera plus correct. Vous le donnerez comme celui de Lisbonne, à tous les graves docteurs de votre connaissance.

Mandez nous ce qu'on dit à Paris de la nouvelle décoration du théâtre de madame de Pompadour. Vous savez que je m'intéresse à elle. C'est une femme qui a fait tout le bien qu'elle a pu, et qui n'a jamais fait de mal.