1755-12-28, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Ma chère nièce, vos pastels sont arrivés à Lyon, et M. Tronchin de Lyon qui exerce la banque avec autant d'honneur que l'autre Tronchin exerce la médecine, vous dépêche vos armes par la diligence.
Nous vous en fournirons d'autres quand vous serez à nos petites Délices, si dieu nous fait la grâce de vous y recevoir et si quelque tremblement de terre ne vient pas se fourer à la traverse. Savez vous bien que nous avons eu à quelques lieues de notre Monrion un gros village nommé Brig bouleversé et abimé? Cela ne fait pas dans le monde le même bruit que Lisbonne, mais cela est plus intéressant pour nous. Encore si on avait un bon estomac on se consolerait: mais rien n'est plus triste que de passer sa vie sur des mines et de ne point digérer. Digérez donc vous qui êtes à Paris ou venez en demander le secret au docteur Tronchin. Votre sœur ne peut plus se passer de ses ordonnances: elle compte, par ses soins, manger toujours beaucoup et se porter toujours bien. Pour moi je me sens hors de combat. Je suis si faible que je ne peux pas même songer à faire une tragédie. Il n'y a que les sentimens de mon amitié pour vous dans lesquels je ne trouve point de diminution. Tout le reste s'en va le grand galop. Votre frère est il toujours dans un pot à beurre de Bretagne, et abandonne-t-il la cause du grand conseil attaqué par tant de parlements? Jouez vous toujours force parties de quadrille? Etes vous heureuse dans le sens que vous l'étiez quand j'ai quitté Paris? Votre fils est il toujours bien aimable? Je m'intéresse tendrement à tout ce qui vous regarde. Je vous aime de tout mon cœur.

V.