[c. 1 July 1768]
La malédiction, ma chère nièce, est sur les paquets confiés aux Genevois qui vont à Paris.
Vous aurez sçu probablement que ce neveu de Delorme que j'avais chargé d'une lettre pour vous avait enfermé cette lettre dans un paquet de brochures qu'un de ses amis lui avait donné à Geneve pour Messieurs D'Alembert et d'Amilaville. Quand il fut fouillé en entrant à Paris, il dit bêtement que ce paquet contenait des livres. Tout fut saisi. Les livres ne me regardent pas, je n'en ai jamais envoyé; je suis assez occupé du siecle de Louis XIV, et de celui de Louis XV, mais je suis très affligé qu'une lettre qui n'était que pour vous soit tombée dans les mains des commis de la Douane. Je sais que Damilaville est instruit de ce fait il y a plus d'un mois; il ne m'en a rien mandé et je ne l'apprends que d'aujourd'hui. J'ai peur qu'il n'en arrive autant à M. Neker qui s'est chargé d'une lettre pour vous, d'une pour M. d'Hornoy et d'une autre pour M. de Laleu. J'écris à son frère le banquier, rue de Clery à Paris, et je le supplie de prendre les précautions nécessaires. Il se peut que les correspondans de Damilaville l'aient chargé de quelque brochure que je ne connais pas et que le tout soit ensemble. Je ne me mêle point encor une fois des brochures, mais pour le paquet de lettres qui vous était adressé, il faut vous le faire rendre, soit par les commis de la Douane, soit par la chambre syndicale des libraires. Briasson est de cette chambre, c'est mon ami, il demeure rue St Jaques, il pourra aisément vous servir si vous lui faites écrire un mot de ma part. Tous ces contretemps sont bien cruels, la poste est devenu un piège, on est privé de la consolation de dire ce qu'on pense à ses amis, cela empoisonne la vie. Je n'ai point encor reçu de réponse de M. de St. Florentin au sujet de la tracasserie ridicule qu'on m'avait faite. Les épines piquent de tous les côtés; je ne m'en porte pas mieux. Une santé faible dans un âge avancé succombe bien vite. Jouissez, ma chère nièce de Paris et du repos. Je me flatte que vous êtes quitte de ce malheureux rhumatisme qui ne peut être qu'une maladie passagère.
Adieu, il faut que j'écrive vingt lettres, je n'ai que le temps d'embrasser tout ce qui est avec vous,b et surtout vous le plus tendrement du monde.b