1768-07-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louis Gaspard Fabry.

Pierre Servetaz, manouvrier à Ferney, aiant loué de Durant un apartement au village de Ferney, fut obligé d'en sortir lorsque les troupes arrivèrent, et de céder cet apartement aux soldats.

N'ayant aucun endroit pour se mettre à couvert La nommé La Reine lui loua une partie de sa cuisine, où il se retira avec sa femme et son enfant. On lui a fait fournir une paire de draps, qu'il est obligé de changer tous les quinze jours, et comme il n'en a que deux paires en tout, lui sa femme et son enfant sont obligés de coucher nuds sur la paille pendant qu'ils blanchissent la seule paire de draps qui leur reste.

On a placé dix neuf grenadiers dans la cuisine où il couche pour y faire leur potage.

Ces grenadiers lui ont brûlé sept fascines de bois qu'il avait.

Il a sa femme enceinte, et qui doit acoucher dans peu de temps, et elle n'a aucun endroit que la cuisine où les 10 neuf grenadiers font leur potage.

Durant veut aussi lui faire payer six patagons pour le louage de sa maison, de laquelle on l'a obligé de sortir, ne jouïssant que d'un petit jardin et chenevier qu'on lui a tout dévastés.

Je supplie Monsieur Fabri de vouloir bien avoir pitié de cette pauvre femme.

J'ay l'honneur de luy présenter mes respectueux sentiments.

Voltaire