Jeudi 27 d'Auguste [1767] à Paris
Après beaucoup d'embarras et de révolutions domestiques qu'une meilleure santé m'a fait soutenir, je vais reprendre, mon rare et consolant ami, notre petite correspondance.
Vous aurés receu par M. Damilavile le livre que M. De Riviere m'avoit fait remettre en partant pour la Russie. Je crois qu'il lui sera bien plus facile d'écrire et de raisonner sur la Politique que de la mettre en pratique.
Vous avés écrit il y a six semaines a la Veuve Du Chesne au sujet d'une édition complette de vos ouvrages de Théâtre, et vous m'avés fait l'honeur de la renvoyer devant moi, pour remédier du mieux qu'il seroit possible à l'affreuse défectuosité de cette Edition, dont la partie Typografique demandoit qu'on y joignit la correction qui y manque. Je lui dis que mes affaires et ma santé ne me permettoient pas de m'en charger, qu'il falloit chercher au plustôt un des meilleurs correcteurs d'Imprimerie, qu'il lût avec beaucoup d'attention la lettre que vous avés mis à la suitte de la 2de Edition de la Tragedie des Scythes, que ce Correcteur prit beaucoup de peine et qu'elle n'épargnât pas sa bourse pour remettre en honneur cette Edition.
Ce n'est pas encor tout, elle me fit part aussi des Estampes que le S. Eysen a gravées à ses frais pour une très jolie Edition en particulier de la Henriade. Je vous en ay envoyé les Estampes de quelques Chants, en même tems que le Livre de M. de la Riviere. Puisque cette veuve Du Chesne, qui se donne beaucoup de peines pour l'Education de ses Enfans, qu'elle est pleine de courage, qu'elle reconnoit sa faute, qu'elle cherche les moyens de la réparer, et qu'elle se soumet à tout ce qu'on peut exiger d'elle, Il est de votre humanité, de votre compassion, de votre âme belle et généreuse de lui tendre la main et de l'aider à se relever. Elle a deux filles si honnêtes et si jolies, qu'elles vous feroient toute l'impression que je voudrois vous inspirer pour réparer le mieux qu'il sera possible ce désordre, si vous les voyés. Tâchés donc de me répondre à ce sujet quelques paroles consolantes.
Je tâcherai de vous mettre en humeur, en vous apprenant qu'il m'est revenu d'une part non suspecte que M. le Prince de Soubise étoit instruit de la manière dont vous avés receu plusieurs officiers de son Régiment qui ont trouvé chés vous tout ce qu'on peut désirer de plus honnête et de plus aimable. Il n'ignore pas non plus tous les amusements que vous leur avés procuré, et qu'à tous ces agréments vous y avés joint des propos sérieux et les plus capables d'augmenter leur attachement pour sa personne. Je puis vous assurer que sa reconnoissance est telle qu'elle doit être, et qu'il se feroit un vrai plaisir de vous en donner des preuves, si l'occasion s'en présentoit. Je crois que vous pouvés compter sur ce que je vous en dis, comme si vous l'aviés entendu vous même.
Il faut présentemt vous faire rire par une poliçonnerie, mais bonne et surtout très bien faite. Elle est de M. le Chevalier de Bouflers. Il la fit étant abé sur une Infidélité que lui fit sa Dame. Il ne seroit pas aujourd'hui si vindicatif.
Sur l'air, Nous nous marierons dimanche, ou, la contredanse suédoise.
Marc Tullius Olivetus vient de donner ses Opuscules Grammaticales si excellentes, avec un avis très bien tourné sur la dernière let. que vous lui aviés adressée. C'est un Vol. précieux dans ce genre.
Mon correspondant couronné a la bonté de me faire témoigner de tems en tems sa satisfaction. Envoyés moi donc quelques vers de vos réserves.
Je vous embrasse de tout mon coeur.