1767-07-30, de Laurent Angliviel de La Beaumelle à Charles Manoël de Végobre.

Permettez moi, Monsieur, de vous demander un service. Il est tel que votre droiture se joindra à la bienfaisance qui vous est naturelle pour vous engager à me le rendre.

Vous savez mieux que personne, vous êtes témoin, que pendant le séjour que je fis à Genève j'y vécus dans l'indépendance & d'une pension que feu mon père me fesoit. Cependant Voltaire à qui ses libraires peuvent avoir dit mille fois que je logeois vis à vis d'eux & que j'étois en pension chez le sr Philibert leur associé, vient d'imprimer dans plusieurs Libelles qu'il publie journellement contre moi, non seulement que j'ai été précepteur dans cette ville, mais encore que j'ai été chassé de Ferney où je fesois ce métier.

J'eus l'honneur d'écrire le 6 juillet à M. de Boisy, pour le prier d'attester que ce fait étoit controuvé. Je lui demandois cette grâce dans les termes les plus pressans. Cependant je n'en air reçu aucune réponse; ce qui me surprend d'autant plus que je sai à n'en pouvoir douter, qu'en apprenant cette allégation M. de Boisi dit à qui voulut l'entendre, qu'elle étoit fausse. Apparemment ma lettre ne lui sera point parvenue. C'est ce qui m'engage, Monsieur, à vous supplier d'aller chez lui, & de lui demander en mon nom un certificat, qui démente purement & simplement ces paroles qui se trouvent dans un écrit intitulé Honnêtetés Littéraires, XVII. Honnêteté: Ce même La Beaumelle a été ci-devant Précepteur à Ferney du fils d'un gentilhomme qui a vendu Ferney à l'auteur du siècle de Louis XIV, & chassé de la maison de ce gentilhomme. M. de Boisi ne sauroit se refuser à ma demande. Il se souvient sans doute qu'à sa prière je passai 3 semaines chez lui à Boisi durant les vacances de 1746, & qu'il ne fut question entre nous ni de préceptorat ni de rien d'approchant. Il se souvient qu'après son retour de Boisi il continua de me témoigner les mêmes bontés qu'auparavant, qu'il me procura la connoissance de la maison des Marches, & qu'à mon départ pour Copenhague il me témoigna sa bienveillance en me donnant des lettres de recommendation. Représentez lui, Monsieur, que je ne lui demande que la vérité, qu'un cœur aussi généreux que le sien ne peut me la refuser, & qu'il est impossible que sa délicatesse ne soit choquée de voir un ennemi tourner contre moi les bontés dont il me combla. Si sa santé ne lui permet pas d'écrire, qu'il ait la bonté de faire sa déclaration par devant un notaire ou par devant un un magistrat. Cette déclaration m'est absolument nécessaire pour désabuser certaines personnes de considération qui s'intéressent à moi, & dans l'esprit desquelles il m'importe de ne laisser aucun nuage sur ma conduite à Genève.

Je vous demande mille pardons, Monsieur, des soins que va vous donner la commission que je prends la liberté de vous confier. Vous devez juger par cette liberté même, combien cette affaire me tient à coeur, & quelle reconnoissance j'aurai de toutes les peines que vous allez prendre.

Je suis avec un respectueux attachement, Monsieur, Votre très humble & très obéissant serviteur

La Beaumelle