Compiegne le 18 Juillet 1767
Malgré le long espace qui nous sépare monsieur, et le tems reculé de notre première connoissance, il est bien difficile de vous oublier.
La célébrité de votre nom, le grand nombre de vos ouvrages, vous rapellent à tous momens à la mémoire de ceux qui vous ont connus, dès leur plus tendre Jeunesse et dont vous mérités le suffrage. Il est très possible que la Bomelle soit tombé dans des erreurs grossières, et d'autant plus dangereuses qu'elles peuvent avoir été Volontaires. Mais les Punitions qu'il a éssuiées, ont annoncé dans le tems, le mécontentement que le Roy, a eu de ses Ecarts. Il n'est peutêtre pas à propos de les rapeler aujourd'huy au Public, quand même ce seroit pour flétrir ses écrits. C'est une punition pour un homme qui cherche à faire parler de lui, que de ne faire aucune attention aux ouvrages qu'il Publie. Il m'a paru que plusieurs membres du Conseil pensent ainsi, et qu'en laissant croupir la Bomelle à Maseres sans s'embarasser de ce qu'il écrit, c'est peutêtre une punition plus grande et qui lui est plus sensible, que ne le seroit un éxil, ou une prison momentanée. Je sçai cependant, qu'on doit lui écrire, d'être plus sage à l'avenir. Je vous suis très obligé de m'avoir rapelé les endroits critiques, qui ont été malàpropos, insérés dans ses ouvrages; mais s'il a cru que mr de Louvois n'a pas été empoisoné, il a été dans l'erreur avec tous ceux qui ont vécu alors, et J'ai vû dans ma Jeunesse, nombre de ses familiers ou domestiques, qui en étoient persuadés: ils ne Jettoient aucun soupçon sur les auteurs d'un tel attentat, mais ils publièrent assés franchement les noms de ceux qui l'avoient exécuté. Voicy comme m'a été raconté l'Evénement qui les affligeoit, et dont ils avoient été témoins. M. de Louvois se trouva mal au Conseil, en rentrant chez lui, il but de l'eau renfermée dans un pot de Cristal, que le froteur avoit coutume de placer sur la Cheminée; le mal augmentant on apela Ceron, son médecin, qui en lui Jettant de l'eau au Visage, laissa tomber et cassa le pot. Cet événement et la fuite du froteur qui n'a plus reparu ont donné des soupçons sur ces deux personnes; Je crois même avoir entendu dire que Ceron, fut assassiné peu de tems après. En voilà assés pour donner des soupçons sur le genre de mort qui a terminé les jours de ce Ministre. Honoré de la Confiance intime du maitre, on ne manque pas ordinairement d'ennemis, et les plus cachés sont les plus dangereux. J'ai voulu vous rapeler cette anecdote que je crois véritable, parce que vous m'avés paru doutter de la vraie cause de la mort de m. de Louvois.
J'ai l'honneur d'être très véritablement monsieur, Votre très humble et très obéist serviteur
L. M. d. Destrées