Paris le 25 juin 1767
Monsieur,
Madame La Beaumelle, ma sœur, s'est rendüe coupable à votre êgard.
Je vous demande grâce pour elle. Des ennemis jaloux de la protection que vous avés accordée à Made Calas et à moi, et de l'amitié que vous avés témoignée à mon père, veulent nous priver de cet avantage. J'espère Monsieur, qu'ils n'y réüssiront et qu'ils n'auront pas plus de satisfaction dans cette entreprise qu'ils n'en ont eu de la fable inventée et décréditée sur le compte de Jeanne Viguière.
Il est étonnant, Monsieur, que Malgré la quantité d'écrits philosophiques répandus dans le public, l'art de douter fasse si peu de progrès; on ne le conoit point du tout encore dans ma province, mes compatriotes font profession de tout croire. C'est une maladie dont ma famille est aussi attaquée, ma sœur vient d'en donner la preuve.
Vous vous êtes souvent plaint, Monsieur, que l'on fit courir sous votre nom quantité de mauvaises brochures que des auteurs faméliques vendent à des libraires ignorants avec un par Mr de V. qui fait débiter ces sortes d'ouvrages jusqu'à ce que la fraude soit découverte. Un mal intentioné s'est servi, m'a t'on dit, de ce coupable stratagème pour répandre dans le Languedoc un écrit rempli d'injures contre mon beaufrère et l'auteur de cet écrit a mis au nombre de ses plus grosses injures les mots de huguenots, de prédicant, &ca. Rien au monde ne pouvoit mieux décéler le faux que cette fanatique maladresse; cependant mon inconsidérée sœur en voyant cet écrit qui lui a êté adressé, je ne sais par qui, ne s'est pas donné le tems de penser que vous ne pouviés pas en être l'auteur. Elle a pris la plume à la hâte et vous a écrit, Monsieur, pour se plaindre à vous de cette violation du droit des gens, comme si vous eussiés réellement attaqué son mari en pleine paix. Je ne sais Monsieur ce que vous aurés répondu à sa lettre. Pour moi, j'ai fort blâmé son extrême vivacité et lui ai promis néanmoins d'avoir l'honneur de vous écrire et d'interposer entr'elle, son mari & vous Monsieur, les services que vous m'avés rendus et toutes les bontés dont vous m'honorés. C'est par cette puissante médiation que je vous suplie, Monsieur, de pardonner à ma sœur le soupçon injurieux qu'elle a pu former sur votre compte et d'accorder à Mr de La Beaumelle la continuation de la paix que cette inconsidération de la part de sa femme aurait êté capable de rompre. Cette paix Monsieur, est nécessaire à la tranquilité et au bonheur de mon respectueux père dont l'âge commence à s'avancer et quand même votre âme toujours philosophique se serait laissé aller à un léger ressentiment, ce que je ne pense pas, je me flate que ce motif serait assés puissant pour vous engager à en faire le sacrifice.
Mr Nevris est arrivé depuis quelques jours à Paris; il a vu Madame Calas: ah! Monsieur, quelle scène touchante s'est passée entre ces deux respectables Malheureux! Ils vous ont comme moi des obligations bien considérables, aussi vous sont ils bien entièrement dévoués.
Je n'ai pas trouvé Mr Sirven du tout ressemblant au portrait que vous en faites dans votre lettre à Mr de Beaumont. Sa phisionomie m'a paru également honnête, respectable et intéressante: c'est je pense une adresse de votre part de l'avoir peint différemment et une adresse bien louable.
Je crains que la présence de Mr de Bonrepos, procureur Gal au Parlement de Toulouse, notre plus grand ennemi et le sien, qui se trouve ici avec nombre de ses partisans, ne nuise beaucoup à votre infortuné protégé. Je ne saurais penser aux longueurs qu'il va essuyer sans êprouver des mouvements d'impatience, d'indignation et presque de colère. Cet homme que je sais être innocent d'une certitude presque aussi grande que si je ne l'eusse jamais quitté a êté flétri par un jugement inique. Il n'a fallu qu'un seul jour à un méchant petit juge de village pour le dépouiller de ses biens, flétrir son honneur et proscrire sa vie, le conseil, tout ce qu'il y a de plus grand, de plus élevé dans la robe, le Roi même laisseront des années s'écouler avant de réparer cette injustice. Heureuse toutefois la famille Sirven que son désastre soit de nature à être réparé. Ah: Calas! Calas!….
Bien des personnes s'étaient flatées Monsieur, que vous viendriés habiter pour quelque tems cette ville tumultueuse; le grand désir que j'ai de vous présenter mes hommages m'a mis au nombre des crédules, mais Mr le comte d'Argental m'a fait l'honneur de me dire à mon grand regret que ce n'était pas votre dessein. J'en suis bien fâché: j'espère de pouvoir y suppléer quelque jour en me rendant auprès de vous; rien n'égalerait le plaisir que j'aurais de vous témoigner de vive voix toute l'étendüe de ma reconaissance pour les importants services que vous m'avés rendus et de vous donner les assurances les plus fortes du profond respect et de l'entier dévouement avec les quels j'ai l'honneur d'être
Monsieur
Votre très humble & très obéissant servi͞r
Lavaysse de Vic