1767-05-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Laurent Buirette de Belloy.

J'ai eu la hardiesse, mr, de me faire acteur dans ma soixante et quatorzième année.
De jeunes gens et de jeunes femmes ont corrompu ma vieillesse. Je n'ai pas soutenu la fatigue aussi bien qu'eux et j'en ai été malade; c'est ce qui a retardé un peu les tendres et sincères remerciements que vous doit un cœur pénétré de votre mérite et de la beauté de vôtre âme. Nous voilà, ce me semble, parvenus à imiter les Grecs, chez qui les auteurs jouaient eux mêmes leurs pièces. Mr de Chabanon et mr de la Harpe récitent des vers aussi bien qu'ils en font; et mde de la Harpe a un talent dont je n'ai encore vu le modèle que dans mlle Clairon. Enfin par un concours singulier, la perfection de la déclamation s'est trouvée dans nos déserts. Mais ce qui fait plus d'honneur encore à la littérature, c'est l'exemple que vous donnez; c'est l'amitié que vous me témoignez au sein de vos triomphes; ce sont vos beaux vers qui viennent au secours de ma muse languissante.

Les neuf muses sont sœurs, et les beaux arts sont frères.
Quelque peu de malignité,
A dérangé parfois cette fraternité:
La famille en souffrit, et des mains étrangères
De ces débats ont profité.
C'est dans son union qu'est son grand avantage;
Alors elle en impose aux pédants, aux bigots,
Elle devient l'effroi des sots,
La lumière du siècle et le soutien du sage.
Elle ne flatte point les riches et les grands,
Ceux qui dédaignaient son encens,
Se font honneur de son suffrage
Et les rois sont ses courtisans.

J'ai grande opinion du chevalier Bayard, c'est un beau sujet. Je ne suis que le poète de l'Amérique et de la Chine et vous êtes celui des Français. Recevez mr les témoignages les plus vrais de ma sensible reconnaissance.

V.