1767-03-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Claude Joseph Dorat.

Je ne sais, monsieur, si mon amour propre corrompt mon jugement, mais vos derniers vers me paraissent valoir mieux que les premiers.
Ils sont, à mon gré, plus remplis de grâces. Votre muse fait ce qu'elle veut. Je la remercie d'avoir voulu quelque chose en ma faveur, quoiqu'il y ait encore un coup de patte. Je vous jure sur mon honneur que je n'ai aucune connaissance des vers qu'on a faits contre vous. Personne ne m'en a écrit un mot; il n'y a que vous qui m'en parliez. Toutes ces sottises couvertes par d'autres sottises, tombent dans un éternel oubli au bout de vingt-quatre heures. Je suis uniquement occupé de l'affaire des Sirven dont vous avez peut-être entendu parler. Ce nouveau procès de parricide va être jugé au conseil du roi. Il m'intéresse beaucoup plus que les Scythes dont je ne fais nul cas. Je n'avais destiné cet ouvrage qu'à mon petit théâtre, mais on imprime tout, on a imprimé ce petit amusement de campagne. Les comédiens se repentiront probablement d'avoir voulu le jouer. J'ai donné un rôle à melle Duranci à qui j'en avais promis un depuis très longtemps. Je ne connaissais point melle Dubois. Je vis ignoré dans ma retraite, et j'ignore tout. Si j'avais été informé plus tôt de son mérite et de ses droits, j'aurais assurément prévenu ses plaintes; mais je vous prie de lui dire qu'elle n'a rien à regretter. Le rôle qu'elle semble désirer, est indigne d'elle. C'est une espèce de paysanne, pendant trois actes entiers; c'est une fille d'un petit canton suisse qui épouse un Suisse; et un petit-maître français tue son mari. Je ne connais point de pièce plus hasardée; c'est une espèce de gageure; et je gage avec qui voudra contre le succès. Mais on peut faire une mauvaise pièce de théâtre et ambitionner votre amitié. C'est là ma consolation et ma ressource.

Je vous supplie, monsieur, de compter sur les sentiments très sincères de votre très humble &a.