1767-02-09, de Joseph Michel Antoine Servan à Voltaire [François Marie Arouet].

Quand vous ne m'auriés pas comblé de bontés, Monsieur; quand je ne posséderois pas trois de vos léttres; je n'en adrésserois pas moins au déffenseur des Calas et des Sirven un discours sur l'administration de la justice criminelle.
Le sujet est à vous, Monsieur, et par mal'heur la manière est à moi; je sens la foiblésse de cette rapsodie; et malade depuis trois mois, n'ayant mis que peu de jours à cet ouvrage j'ai la consolation de penser que dans un meilleur tems, je ferois beaucoup moins mal.

Mais ce que vous approuverés, certainement ce sont les bonnes intentions qui l'ont dicté. Les intentions sont pour le magistrat, ce que les armées sont pour les princes; avec cela les manifestes sont toujours bons. Le seul endroit que j'aime et que je vous annonce, c'est celui oû j'ai pris la Liberté de vous montrér du doigt. Personne ne vous a méconnu, et votre nom ne vous eût pas si bien nommé.

Il faut que je vous raconte, Monsieur, que nous eûmes il y a quelques années, un honnête recolet qui prêchant sur l'incrédulité, fit une terrible sortie contre vous; même, si je m'en souviens bien, il vous appella collosse d'impiété. On rit de pitié; on laissa dire l'aimable recolet. J'ai été votre don quichote, j'ai tiré l'épée contre le récolet; et devant un auditoire non moins nombreux, non dans un église, mais dans un temple (car vous savez bien que notre palais est un temple) je n'ai pas dit absolument que vous êtes un colosse de bien faisance, mais j'en ai dit l'équivalent.

Votre éloge est dévenu une vérité bien triviale; mais c'est celle qui plait d'avantage à mon cœur; et moi, qui me contentois de lire vos ouvrages avec admiration dépuis que j'ai l'avantage de vous connoitre je ne prononce votre nom qu'avec tendresse et respect; aussi, Monsieur, je vous avoue que j'ai été un peu humilié en voyant paroitre le philosophe ignorant chés nos Libraires, avant que de le posséder dans ma bibliothèque. Vous m'aviés flaté de m'envoyer toutes les plantes nouvèlles du païs de Gex, et votre oubli m'a parû une réprobation; cependant si je ne suis pas assés philosophe, du moins je suis tout aussi ignorant qu'il le faut pour aprétier cet admirable et triste bilan de la raison humaine.

Je ne veux pas vous importuner d'avantage; et j'ai honte je l'avoue, de me trouver dans la foule de ces petits talens qui viennent vous fatiguer de leur encens et de leurs ouvrages; moi, qui ne prétends pas même à la médiocrité, je ne vous rens homage que pour satisfaire mon cœur et la vérité, et je vous r'assure d'avance en vous protestant que c'est ici la dernière fois que je vous en voyeray de L'imprimerie de ma façon; le hazard l'a voulu; mais je connois mes forces, et j'aime mon repos, c'est déjà trop de sçavoir lire sans vouloir encore être lû; plût à dieu qu'on accordât le privilège exclusif d'écrire comme celui de vendre la mousseline, nous lirions moins, et nous saurions d'avantage; on ne verroit pas un Freron planter sa baraque, parmi les beaux magazins des Voltaires, des Bufons, des d'Alembert, et vendre de petites feuilles tandis que ceux ci distribuent de belles étoffes; tanpis pour les dupes, quant à moi je ne la suis pas; et la postérité n'aura pas plus d'admiration pour vous ni vos contemporains plus de respect que

Votre très humble et très obéissant serviteur

S….