Basle ce 13 Janvier 1767
Monsieur
J'avois été chargé de faire imprimer à Basle le manuscript que j'ai l'honneur de vous addresser ci-joint, dont l'autheur est un homme de mérite qui se trouve effectivement dans le cas malheureux dont il fait la peinture avec tant d'énergie.
Mes soins pour remplir la commission ont été infructueux, aucun de nos Libraires n'a voulu de son mannuscript; notre Librairie, autrefois si célèbre, n'est plus éxercée que par des gens ignorans, peureux et gauches. J'aurois pourtant fort désiré de pouvoir contribuer à la publication d'un ouvrage, écrit, je l'avoue, un peu négligemment, mais si je ne me trompe, fortement pensé; et dans lequel l'auteur a vivement saisi et exposé avec feu un des vices les plus répréhensibles que l'ignorante superstition ait introduit dans la Législation. Comme personne, Monsieur, n'a jamais combattu le fanatisme avec autant d'avantage que vous, comme personne n'a répandu autant de vérités, ni détruit autant d'erreurs, ni contribué autant que vous à étendre dans toute l'Europe cet esprit philosophique qui distinguera de tous les autres, le siècle que vous avez éclairé de vos lumières; enfin comme c'est vous surtout qui avez guéri de cet esprit d'intolérance, qui la déshonnoroit, la plus aimable nation de l'univers, j'ai crû que, malgré ses défauts, l'ouvrage de mon ami ne seroit pas indigne de vôtre protection. J'ai proposé, en conséquence, à l'auteur de me donner la commission de le soumettre à vôtre jugement, et au cas que ce jugement fût favorable à son travail, de vous supplier, Monsieur, d'engager quelque Libraire intelligent à se charger de sa publication, sauf à lui à en faire un peu retoucher le stile. Je m'étois ingéré de corriger les endroits les plus défectueux de la copie que mon ami m'avoit envoiée, en premier lieu, de sa production; Il s'est défié, avec raison, de ma compétence sur ce point, et n'a adopté dans une nouvelle copie que voici, qu'une partie de mes corrections, mais il se soumettroit avec la plus grande docilité à celles que vous auriez, Monsieur, jugées nécessaires. Il n'est point de Libraire un peu éclairé sur ses intérêts, qui ne regardât comme une excellente aubaine la publication d'un ouvrage muni du seau de vôtre approbation; s'il lui falloit un atrait de plus, il en trouveroit un dans le désintéressement de l'auteur de celui-ci, qui n'exigeroit que 25 à 30 exemplaires pour toute condition.
(Au cas que vous trouvassiez que le Mémoire de mon ami ne méritât pas que vous vous rendissiez, Monsieur, à la prière que j'ai l'honneur de vous faire de sa part, j'espère que vous voudrez bien au moins avoir la bonté de le r'envoyer à Monsieur Mouchon, chargé de ma part de vous le faire passer, et de vous indiquer en même tems son adresse.)
Permettez-moi, Monsieur, de me féliciter que cette petite négociation me mette à portée de vous exprimer, une fois en ma vie, les sentimens de la profonde vénération que vos écrits immortels m'ont inspirée depuis longtems pour le génie sublime qui les a produits. Quelque obscur que soit le rôle que je joue dans la littérature vous ne dédaignerez pas, à ce que j'espère, un hommage qui part du fond de mon âme, et qui vous est rendu avec toute la franchise de mon païs et de mon état.
Je suis avec tout le dévouement possible
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Frey chevalier du mérite militaire et capitaine au régiment suisse de Boccard