1766-04-23, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Le printemps qui rend la vie aux animaux et aux plantes, nous est donc funeste à l'un et à l'autre, mon cher ami?
Nous sommes tous deux malades, consolons nous tous deux. Voilà déjà du baume mis dans votre sang par la liberté qu'on donne à l'encyclopédie. Je crois que je renaîtrai quand je recevrai le petit ballot que vous m'annoncez par la diligence de Lyon. Mandez moi je vous prie à quelle adresse vous l'avez mis; je ne dormirai point jusqu'à ce que je l'aie reçu.

Melle Clairon ne remontera donc point sur le théâtre? Mais qui la remplacera? Tout manque ou tout tombe.

Il faut avoir le diable au corps pour accuser d'irréligion l'éloquent auteur de l'éloge du dauphin; mais c'est un grand bonheur à mon gré qu'on voie évidemment que dès qu'un homme d'esprit n'est pas fanatique, les bigots l'accusent d'être athée. Plus la calomnie est absurde plus elle se décrédite. On doit toujours se souvenir que Descartes et Gassendi ont essuyé les mêmes reproches. Le monstre du fanatisme si fatal aux rois et aux peuples commence à être bien décrié chez tous les honnêtes gens. La retraite profonde où je vis ne me permet pas de vous mander des nouvelles de littérature. Je crois que vous en avez reçu de m. Boursier qui s'est chargé ce me semble de vous envoyer quelques pièces curieuses qu'il attend de Francfort. Ce m. Boursier vous aime de tout son cœur. Il est malade comme moi et il ne cesse de travailler; il dit qu'il veut mourir la plume à la main. Il suit toujours les mêmes objets dont vous l'avez vu occupé. Il regrette comme moi le temps heureux et court qu'il a passé avec vous.

Adieu, mon très cher ami, ma faiblesse ne me permet pas d'écrire de longues lettres. Ecr. l'inf.